" Allons poulots de la patrie vétérinaire ! Le jour de gloire est arrivé ! "
Tenons-le-nous pour dit : nous, vétérinaires, n’avons pas le monopole de l’avènement du bizutage. C’est du côté d’une autre institution française que le mot “ bizut(h) ”, dont l’étymologie reste incertaine, fait son apparition : l’école militaire de Saint Cyr. Teinté d’une auréole de fierté et d’honneur, le terme est alors utilisé pour désigner les recrues de jeunes officiers nouvellement intégrés. Son utilisation se généralise par la suite à toutes les grandes écoles et cursus soumis à un numerus clausus en France. Mais, me direz-vous, personne n’utilise le terme de bizut(h) pour désigner les nouvelles têtes pensantes vétérinaires ! Bien vu. A chaque institution, ses sobriquets ! Ainsi, dès le 19ème siècle, apparaissent les mots “ volailles ” et “ poulots ” pour nommer les étudiants de la promotion entrante. Un vocabulaire aviaire chez des vétérinaires... rien d’étonnant n’est-ce pas ? Détrompez-vous, car là encore, ce surnom possède une origine bien plus ancienne. Au Moyen Âge, les élèves fraîchement accueillis à l’université de Paris étaient alors qualifiés par leurs anciens de “ béjaunes ”, renvoyant ni plus ni moins au bec jaune de l’oisillon nouvellement sorti de son nid. Définissant un “ jeune individu niais et sans expérience ”, on comprend aisément pourquoi cette dénomination a perduré chez les jeunes générations estudiantines. Faisons un petit saut dans l’histoire… Nous voici une centaine d’années après la création de l’école vétérinaire de Lyon ! Les progrès scientifiques en médecine vétérinaire sont alors grandissants. Les sujets d’étude se multiplient, en particulier sur… les poules ! C'est d'ailleurs en 1880 que fut découvert le premier vaccin animal contre le choléra aviaire. Poules… “ volailles ”... “ poulots ”… coïncidence quant à l’inspiration de ces surnoms ? Historiquement, nul ne le sait. Mais, comme l’ont suggéré les Drs vétérinaires Maufré et Poly dans leur thèse, l’hypothèse est plausible [1]. Deux siècles plus tard, des poulots continuent chaque année à faire leur rentrée dans l’une des quatre écoles vétérinaires françaises. La tradition se perpétue.
" Le bizutage : depuis quand et pourquoi ? "
Mais de quand date le bizutage ? Difficile de dater précisément son origine. On retrouve toutefois avec certitude, l’évocation de rites de passage similaires au sein d'ethnies primitives. Sous la forme d’épreuves initiatiques psychologiques et physiques, ils confèrent dignité et maturité aux futur(e)s initié(e)s. L’analogie vous parait troublante ? À la lumière des différentes analyses sociologiques proposées à ce sujet, il n’y a rien d’étonnant à cela. Brigitte Largueze, chargée d’études en sciences sociales, affirme ainsi que le bizutage symbolise une transition vers un nouvel ordre social défini par des valeurs identitaires fortes [2]. Il s’agit pour les jeunes recrues de passer de l’âge d’insouciance à l’âge adulte et de forger leur appartenance à cette communauté d’accueil. On retrouve dans la thèse des Drs vétérinaires Maufré et Poly, le témoignage saisissant du Dr vétérinaire Samaillle à ce propos : “ Le vétérinaire qui me fit découvrir ce métier pensait qu’on n'est jamais autant solidaires que lorsqu’on a souffert ensemble. Il est vrai qu’à son époque les brimades n’étaient pas réellement une franche rigolade. Elles contribuaient à former un esprit de caste. ” Nombre d’entre vous se rappellent certainement y avoir créé des amitiés indéfectibles.
Plongée historique...
L’histoire des brimades vétérinaires appartient à notre mémoire collective. Peu de témoignages écrits subsistent et pourtant, chacun d’entre nous, quelle que soit notre promotion, pourrait en faire le récit. Et le ponctuer de ses ressentis, positifs ou négatifs, approbateurs ou dénonciateurs. Mais au-delà du caractère subjectif de nos opinions, force est de constater qu’un contraste indéniable existe entre les pratiques d’intégration d’aujourd’hui et d’antan. L’inscription du bizutage comme un délit dans le code pénal depuis 1998 a initié de nombreux changements, amorcés par une vague de contestations bien plus précoce. Actes dévalorisants, agissements dégradants, sexistes : les sujets de controverse sont multiples et continuent à nourrir les débats entre pro et anti-brimades. Mais que nous parvient-il du bizutage de nos prédécesseurs ?
“ On nous faisait entrer, les yeux bandés en salle d’autopsie et nous marchions sur ce que nous croyions être des os de cadavres, puis nous assistions à un simulacre de pendaison ” se rappelle un confrère de l’école de Nantes, sorti dans les années 1990.
À Alfort, des témoignages similaires affleurent : défilés dans les catacombes jonchées de cadavres, procès fictifs arbitraires, privations de sommeil... Si les perceptions diffèrent, les souvenirs sont relativement unanimes : les brimades étaient corsées. L'organisation de cérémonies intégrant des mises en scènes résolument inquiétantes semble ainsi avoir été une norme. Objectif : affirmer et renforcer la supériorité des anciens. Le respect de la hiérarchie est en effet d’importance, et gare à celui ou celle qui oserait la remettre en cause ! Étonnamment, certaines des règles régissant les interactions sociales dans ce contexte ont perduré au fil du temps. Qui n’a jamais marché “ en canard ” sous les ordres d’une cohorte d’anciens ? Entendu hurler “ Lévogyre ! Dextrogyre ! ”, “ Lamentable poulot ! ”, “ Et que ça glousse ! ”, “ Ensilez-vous ! ” ?
“ La liberté des uns commence là où s’arrête celle des autres. ” Cette fameuse expression soulève évidemment nombre de questionnements éthiques, à raison ! Car si cette liberté de choix apparait acquise pour les plus jeunes d’entre nous, jadis, celle-ci pouvait être aisément bafouée.
“À Nantes, nous passions les portes de l’école et chacun devait boire un clystère entier de pastis. C’était obligatoire, pour tout le monde. Au bout de 24h nous avions le choix de poursuivre ou non la semaine. On nous mettait en garde sur les conséquences d’une telle « désertion ».”
Des conséquences a posteriori parfois cinglantes : ostracisation, stigmatisation des poulots les plus réfractaires… un climat coercitif pour qui souhaiterait user de son libre arbitre ! Et l’occasion pour certains d’abuser d’un pouvoir d’influence débridé, dans un contexte où l’alcool était souvent roi.
“ J’avais l’impression que ces brimades étaient l’occasion pour un petit nombre de dominer et de prouver qu’ils étaient les chefs ” racontent certains.
Malgré ces rituels de domination-soumission, les avis restent toutefois tranchés. Pour beaucoup, ces moments partagés ont en effet permis la création d’un réel “ esprit de corps ”, fédératif. Hommes et femmes, uns pour tous, tous pour uns ! La cohésion vétérinaire prime.
La question de la place de la femme dans ces cérémonies d’intégration est d’ailleurs d’intérêt. La féminisation fulgurante de la profession dans les années 60-70, a en effet contribué à changer en profondeur le paysage vétérinaire et ses mentalités. Mais avant cela ? Il est aisé d’imaginer à quelles traditions nos précurseures, accueillies au sein de promotions majoritairement masculines, ont dû se confronter. La thèse du Dr vétérinaire Bueno à ce propos est d’ailleurs particulièrement informative [3]. La plupart ne considèrent pas avoir subi de faveurs particulières :
“ Vu la faible proportion de femmes, nous étions considérées comme les garçons ”, raconte une toulousaine intégrée en 1969.
La nature de certains cérémoniaux pratiqués s'est toutefois considérablement modifiée. La disparition d’actes à caractère misogyne ou sexualisant a ainsi fait écho aux grandes mutations féministes de notre société.
À la suite d‘incidents et d'une vague de controverses politico-sociales, les brimades furent définitivement supprimées dans les années 2000. Elles ont laissé place à une semaine d’accueil facultative, chapeautée par un comité d’éthique dédié. Olympiades, weekend en campement, jeux de piste historiques, soirées à thèmes, à chaque école son accueil novateur personnalisé et, disons-le, nettement édulcoré ! Mais chut ! De futurs “ béjaunes ” pourraient vouloir dénicher des informations... Or, la coutume du secret se pérennise ! In fine, entre ambiance festive et esprit de partage, l’accueil reste un évènement marquant pour qui fut un jour poulot. A son issue, une nouvelle ère s’amorce : pour les poulots, celle de quatre années d’apprentissage à Alfort, Lyon, Nantes ou Toulouse. Pour les anciens, un aboutissement avec en perspective, le titre de praticien vétérinaire.
Mais alors, que reste-t-il du bizutage d'antan ? Certaines traditions pérennes subsistent, riches en valeurs corporatives fondatrices. L’hymne de la Volaille, composé en 1886, résonne toujours ! Les codes ont changé mais d’une certaine manière, ce legs historique continue à nous parvenir. Quoiqu'il en soit, qu’elles rassemblent ou divisent, nul doute que ces pratiques impactent intimement notre idéologie de vétérinaires en devenir !
Amandine Violé,
Vétérinaire
Ressources documentaires et bibliographiques :
[1] V. Maufré, N. Poly. Les traditions d’accueil des nouveaux arrivants à l’école vétérinaire d’Alfort. Thèse universitaire, 2008, [En ligne]. Disponible sur : http://sfhmsv.free.fr/SFHMSV_files/.pdf [Consulté le : 8 février 2023 ] ;
[2] B. Largueze. Le bizutage : histoire d’un rituel entre brimades et traditions. [En ligne]. Disponible sur : https://faluche.info/wp-content/uploads/2018/07/bizutage-histoire-rituel.pdf [Consulté le : 8 février 2023 ] ;
[3] H. Bueno. Témoignages de femmes vétérinaires en France de 1950 à nos jours. Thèse universitaire, 2011, [En ligne]. Disponible sur : https://theses.vet-alfort.fr/telecharger.php?id=1382 [Consulté le : 8 février 2023 ].