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Burnout, genre, mal-être : où en est la profession vétérinaire en 2025 ?

Crédit photo @ Motortion Films - shutterstock.com
En 2022, une étude inédite commandée par l’Ordre des vétérinaires et Vétos Entraide révélait l’ampleur du mal-être des vétérinaires. Trois ans plus tard, où en est la profession ? Laurence Crenn, présidente de Vétos Entraide, partage son analyse.

Il y a donc trois ans, sortait le premier volet de l’étude rédigée par le Professeur Truchot sur la santé psychologique des vétérinaires au travail, levant le voile sur un mal-être prégnant au sein de la profession. Laurence Crenn, praticienne et présidente de Vétos Entraide, revient avec nous sur ce sujet ô combien important et y apporte ses éclairages, à l’aune de l’été 2025.

Une parole qui se libère, une souffrance toujours là

En 2019, le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires et l’association Vétos Entraide décidaient de lancer une enquête sur la santé psychologique des vétérinaires au travail, axée sur le burnout et les idéations suicidaires. 17,5 % de la population totale des vétérinaires français s’y étaient exprimés, amorçant l’émergence d’une parole jusque-là trop souvent tue. Aiguillées par Laurence Crenn, présidente de Vétos Entraide, nous avons souhaité revenir sur les éléments clés de ce rapport et en proposer un état des lieux actualisé.

Une étude fondatrice

  • Le premier volet de l’étude du Pr Truchot date de 2022. À l’époque, qu’a-t-elle représenté pour la profession ?

C’était une étude tout à fait originale car au-delà des données démographiques, elle a permis d’éclairer sous un autre aspect la manière dont les vétérinaires travaillent.

La sociologie de la profession a été abordée de manière totalement novatrice. Et les résultats allaient surtout à contre-courant de l'image d’un métier qui fait, encore à l’heure actuelle, rêver les enfants !

  • Une des données fondamentales du rapport concerne le burnout professionnel. Les vétérinaires interrogés présentaient des scores nettement plus élevés que d’autres échantillons de référence. Quels facteurs permettent de l’expliquer ?

Le burnout se caractérise par trois dimensions que sont l'épuisement émotionnel, le cynisme et la perte d’efficacité professionnelle.

Sur les deux premières composantes, les moyennes des scores obtenues étaient en effet supérieures à celles observées dans un échantillon de la population française et de plus de 2 000 exploitants agricoles français. C’est très révélateur du mal-être de la profession.

Mais l’étude a surtout mis en évidence des « stresseurs » associés au burnout, dont quatre principaux : la charge de travail induisant un conflit vie professionnelle/vie personnelle, la peur de l’erreur, le morcellement du travail et les tensions entre collègues.

  • Concernant la question du burnout, l’étude pointe de nettes différences entre les hommes et les femmes vétérinaires. Quels résultats sont particulièrement probants à ce propos ?

La question du genre est centrale. Pourquoi y a-t-il tant de différences homme/femme quand on parle de santé psychologique au travail ?

Le rapport montre clairement que les femmes ont un épuisement émotionnel plus élevé que les hommes. Par ailleurs, elles présentent des scores de cynisme similaires à ceux de leurs confrères, ce qui n’est pas le cas dans la population générale où ils sont généralement plus faibles.

Autre point notable, le couple est favorable aux hommes : c’est à dire que s'ils sont en couple, leur épuisement émotionnel est moindre. Ce n’est pas le cas chez les femmes. Cela montre bien à quel point on ne peut pas séparer la sphère professionnelle de la sphère familiale.

  • La féminisation est indissociable de l’évolution du métier. Que traduisent ces inégalités de genre ?

Malgré la féminisation qui s’est opérée, il y a la persistance d’une culture de travail masculine. Ce que l'on attend des vétérinaires, hommes ou femmes, est qu’ils travaillent beaucoup, qu’ils soient forts, rationnels, distanciés de leurs émotions. Il y a une vraie acculturation à cette mentalité.

L’idée que les femmes doivent faire leurs preuves et donc montrer qu’elles sont capables de faire « comme les hommes » persiste. À côté de ça, elles restent plus en charge des tâches domestiques au sein du foyer, ce qui diminue leurs ressources pour répondre aux exigences professionnelles et les expose préférentiellement au burnout. Ces questions de division sexuée du travail et de la sphère domestique/parentale sont intrinsèquement liées.

  • Ces conclusions sont sans appel. Quels enseignements en tirer ?

Pour qu’il y ait un changement, il faudrait accepter de porter le regard sur ces mécanismes et se dire que la profession reste régie par des valeurs masculines qui peuvent être néfastes pour la santé des femmes comme des hommes vétérinaires. Eux aussi subissent la pression de devoir performer, de ne pas exprimer leurs émotions... L'engagement émotionnel est au coeur du métier et pour autant la formation initiale et continue nous y préparent peu. On continue à opposer émotions et technique scientifique alors que c’est pourtant au cœur de notre métier. Il faut penser des nouvelles voies de transformation du genre, passer par cette notion d’interchangeabilité personnelle et professionnelle pour tous et toutes.

  • Trois ans plus tard, les vétérinaires se sont-ils emparés de cette problématique de santé psychologique qui pèse sur la profession ?

Ce n’est plus complètement tabou de dire qu’on ne va pas bien, il y a quand même une libération de la parole qui s’est opérée et cette étude y a contribué. De plus en plus de vétérinaires s’engagent pour un meilleur équilibre vie personnelle/vie professionnelle même si la transformation est loin d’être totale. Il reste difficile d’assumer de prendre soin de sa santé mentale !

Dans la société persiste l’idée qu’une « bonne pathologie » est une pathologie du corps. On comprend mieux quelqu’un qui s’arrête pour une rupture du ligament croisé que pour une dépression. Pourtant le stress chronique impacte la santé du corps et inversement. C’est le principe de causalité circulaire dont parle le Pr Truchot.

Concernant la question du suicide et des idéations suicidaires, un des points majeurs de l’étude, on observe toutefois peu d’évolution. Le nombre de suicides par an reste stable, ce qui prouve bien que toutes les problématiques soulevées restent profondément d’actualité.

  • Comment Vétos Entraide continue-t-il à se positionner auprès des vétérinaires qui ressentent le besoin de se faire aider ?

Notre espace d’écoute est accessible 7/7. Nous offrons de la pair-aidance, à savoir une écoute active et empathique avec des consœurs/confrères bénévoles de tous âges, de tous horizons, spécialement formés pour.

L’idée est de reformuler ce que la personne a à déposer, de l’aider à prendre de la distance. Nous respectons l’autonomie de ceux et celles qui nous contactent. Au-delà de l’espace d’écoute, nous sommes aussi actifs sur le groupe Facebook, lors d’évènements confraternels et nous proposons des formations de sensibilisation.

  • Avez-vous observé depuis 2022 un changement dans le nombre ou dans la nature des appels au sein de la plateforme d’écoute ?

Nous avons en effet constaté une augmentation du nombre d’appels depuis trois ans. Les appels concernant l’expression d’idéations suicidaires sont loin d’être les plus nombreux. Un appel type, c’est une jeune consœur qui rencontre des difficultés relationnelles avec son employeur. Cela fait sens avec l’étude qui montre que les femmes avec un statut salarié et exerçant en canine sont les plus prédisposées au burnout. Plus que jamais, il est de notre responsabilité collective de nous engager sur cette question du mieux-être au sein de la profession.

 

Besoin d’en parler ?

La plateforme d’écoute de Vétos Entraide est ouverte 7/7.

Pour tout renseignement, le site Vétos Entraide est disponible sur www.vetos-entraide.com

 

Une étude longitudinale, et un nouvel axe étudiant

Un second volet de l’enquête du Pr Truchot a été publié en 2023, 15 mois après le questionnaire initial. Cette seconde phase, à visée longitudinale, avait pour objectif de croiser les réponses dans le temps afin de mieux établir les liens de causalité et de confirmer les facteurs associés au mal-être. Sans grande surprise, les conclusions rejoignent celles du premier rapport, confortant les pistes déjà identifiées.

Par ailleurs, un nouvel axe d’étude est en cours, toujours sous la direction du Pr Truchot, cette fois centré sur la santé psychologique des étudiants vétérinaires français. Cette enquête nationale, portée en lien avec la Conférence des Grandes Écoles, ambitionne d’analyser les conditions d’étude et les facteurs de vulnérabilité dès la formation initiale. 

 

Propos recueillis par Amandine Violé,

Docteure vétérinaire

 

Nous remercions Laurence Crenn d'avoir répondu à nos questions.

 

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