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Vague de reconversions professionnelles chez les vétérinaires, comment l'expliquer ?

Crédit photo @ Gorodenkoff - stock.adobe.com
Le monde vétérinaire est particulièrement touché par les reconversions professionnelles. Vu de loin, ce phénomène n’est pas particulièrement bien compris. Lorsqu’on embrasse une carrière vétérinaire, d’autant plus en tant que clinicien, c’est pourtant pour la vie ! N’est-ce pas ce que dit le slogan ? Pourtant, le plus beau métier du monde fait face à une vague de désaffection, particulièrement préoccupante si on la replace dans le contexte de pénurie de praticiens. Plus que cela, les changements de carrière interrogent, parfois même bouleversent… Ou fâchent ceux qui les rendent en partie responsables de leurs difficultés à recruter et à maintenir leur équilibre de vie.

C’est dans l’optique de mieux comprendre les raisons qui ont poussé nos confrères et consœurs à se reconvertir ou à songer à la reconversion que Véto Entraide a lancé une enquête en 2022. En recueillant pas loin de 400 témoignages, l’association a pu dessiner les contours de leurs motivations. Cette enquête est le point de départ de réflexions qui permettront de mieux accompagner ceux qui témoignent d’une insatisfaction au travail.

Pourquoi les reconversions professionnelles des vétérinaires nous intriguent-elles autant ?

La reconversion professionnelle est souvent définie comme un changement radical de métier, de compétence ou de secteur d’activité, après une période de stabilité dans un métier d’au moins trois ans. Dans son enquête [1], Véto Entraide a également inclus les reconversions précoces (après moins de trois ans d’activité).

Le métier de vétérinaire a une forte dimension vocative. C’est une profession que l’on envisage souvent dès l’enfance et qui est considérée comme un métier-passion. Parmi les répondants, plus de 90% affirment ainsi avoir choisi cette voie  " pour soigner les animaux ". Les études pour y accéder sont longues et difficiles, et s’accompagnent de sacrifices, qu’ils soient personnels ou financiers. Le métier jouit par ailleurs d’une bonne image auprès de la population. Les reconversions sont donc vues avec beaucoup d’étonnement de la part de personnes étrangères à ce milieu. Les souffrances des vétérinaires sont très peu connues du grand public, et les praticiens peuvent avoir du mal à se défaire de l’idée qu’il s’agit d’un privilège d’exercer ce métier.

Chez les vétérinaires, le sujet suscite également un vif intérêt. L’engouement est bien visible sur les groupes d’entraide et de partage, en témoignent les nombreuses questions et demandes de conseils. Régulièrement, les vétérinaires qui songent à se reconvertir se demandent ce qu’ils pourront bien faire d’autre. Ils entendent fréquemment qu’ils ont acquis de nombreuses compétences transversales pendant leurs études et cherchent des éléments concrets pour s’en convaincre. Entre curiosité et pointe d’envie, ils peuvent trouver au travers des témoignages une forme d’élan et de réconfort.

Au total, 35% des vétérinaires songent à se reconvertir et 40% d’entre eux quittent le tableau de l’Ordre avant 40 ans. Bien qu’inquiétants, ces chiffres doivent être replacés dans un contexte global. Aujourd’hui, la poursuite d’une même carrière tout au long de sa vie n’est plus au goût du jour. Tous français actifs confondus, 49% déclarent avoir effectué ou envisagé une reconversion au cours de leur vie professionnelle [2]. Ce phénomène se retrouve notamment beaucoup chez les jeunes de 25-34 ans. Il ne s’agit donc pas d’une tendance spécifique à notre métier.

Ce qui change, en revanche, c’est le nombre de reconversions très précoces, leurs causes, et ce que cela implique à l’échelle de la profession. Celle-ci reste indispensable pour garantir aux animaux un accès aux soins et assurer des missions de santé publique. Le manque de vétérinaires disponibles pose des problèmes de recrutement et fait reposer sur un nombre insuffisant d’épaules une lourde charge de travail. Par ailleurs, les reconversions précoces témoignent d’un malaise très fort dès les premières expériences au travail. Que se passe-t-il donc pour que tant de vétérinaires se détournent d’un métier qui les a fait autrefois rêver ?

Quand la charge de travail et l’environnement professionnel ne sont plus supportables…

Dans son questionnaire, Véto Entraide a distingué quatre catégories de vétérinaires : ceux qui ont exercé en clientèle dès leur sortie d’école, ceux qui se sont reconvertis après avoir exercé en clientèle, ceux qui ont choisi de ne pas exercer en clientèle après leur sortie d’école et ceux aux "  mille couleurs " avec un profil plus atypique.

Quel que soit leur profil, les répondants ont cité majoritairement la charge de travail trop élevée et son corollaire, la permanence et continuité de soins (PCS), comme causes de reconversion. La charge de travail est un stresseur au travail très fortement associé à l’épuisement émotionnel, aux troubles du sommeil et aux idéations suicidaires [3]. Pourtant, celle-ci semble incompressible, particulièrement aux yeux des cliniciens. L’activité vétérinaire et un secteur en pleine expansion : le marché des animaux de compagnie a ainsi augmenté de 7% entre 2021 et 2022 [4]. Progressivement un décalage entre les demandes des clients, toujours plus fortes, et les moyens humains, s’est dessiné. Il y a d’une part un manque de vétérinaires sur le terrain (on parle de " désert vétérinaire " dans certaines zones) et de l’autre, un sens fort du devoir et des obligations légales qui poussent de nombreux vétérinaires au-delà de leurs limites. En conséquence, un déséquilibre entre vie privée et vie professionnelle est déploré par près de 57% des répondants. Celui-ci est toujours associé à une charge de travail trop élevée.

Il ressort également de l’enquête que les relations au travail jouent un rôle important sur les reconversions. Particulièrement, les toutes premières expériences au travail sont déterminantes pour la suite de sa carrière. Les témoignages libres évoquent un manque d’accompagnement et de soutien, des conflits entre membres de l’équipe, la pression mise par les employeurs, un sentiment de solitude, une ambiance pesante… À l’inverse, les expériences positives (équipe soudée et bienveillante, bonne ambiance de travail) améliorent significativement le ressenti de la difficulté au travail. Pour certains, c’est même ce qui les maintient dans cette voie !

Enfin, d’autres facteurs liés à l’environnement de travail sont cités, comme le travail morcelé et les contraintes administratives, qui pèsent particulièrement sur les vétérinaires libéraux. En toile de fond, la rémunération jugée insuffisante ou peu valorisante, est également évoquée. Cela rejoint la charge de travail totale, qui semble difficile à réduire si l’on veut maintenir un certain niveau de vie et continuer à pouvoir payer ses charges.

… Et que les attentes de la clientèle nous confrontent à nos peurs

En parallèle de la charge de travail globale, les vétérinaires qui songent à se reconvertir ou qui se sont reconvertis citent les relations difficiles avec la clientèle et la peur des erreurs au travail (premier motif de reconversion des vétérinaires ayant quitté la clientèle). Les deux sont liées, car plus que les erreurs en elles-mêmes, les vétérinaires appréhendent leurs répercussions : gestion des propriétaires mécontents, craintes du lynchage sur les réseaux sociaux…

Les vétérinaires ont des personnalités majoritairement perfectionnistes, investies et empathiques. La confrontation à la pratique et aux premières expériences difficiles peut constituer un véritable choc. Les nombreuses semaines de stages effectuées pendant leurs études les préparent aux longues journées de travail, les aident à aiguiser leur sens clinique, leur donnent un aperçu de certains clients difficiles… mais ne les préparent pas à un changement de taille : endosser la responsabilité de leurs actes. Or, porter sur ses épaules les possibles conséquences d’erreurs est une source d’anxiété. Particulièrement pendant les premières années, où le manque de confiance en soi et le syndrome de l’imposteur se font fréquemment ressentir (d’ailleurs, ce sentiment peut persister même après des années de pratique !).

Les attentes des propriétaires sont vues comme de plus en plus élevées. Exigence de résultat, menace de mauvaise note sur Google, budget restreint qui limite les outils diagnostiques et les soins… Et tout cela, pour assez peu de reconnaissance. Les cours dispensés en école se concentrent sur les parties cliniques et n’apportent que trop peu d’outils pour faire face aux clients difficiles. C’est souvent avec ses propres armes que le vétérinaire doit apprendre à communiquer voire à se défendre, ce qui est loin d’être inné. Chaque conflit ou reproche adressé par un propriétaire est vécu très négativement, avec un sentiment d’injustice, de frustration parfois.

Les vétérinaires endossent donc des pressions quotidiennes, qui peuvent vite devenir intolérables, particulièrement dans un contexte de surcharge de travail et de mauvaise ambiance au sein de leur équipe.


L’ensemble des facteurs cités traduit un mal-être au travail qui, s’il n’est pas contrebalancé par un environnement professionnel agréable et soutenant, peut pousser à la reconversion. L’envie de faire autre chose et de ne pas exercer le même métier toute sa vie sont d’autres sources de motivation à la reconversion, que l’on retrouve dans la population générale. Mieux cibler les causes de reconversion spécifiques aux vétérinaires permet de comprendre ce phénomène et d’apporter des pistes de réflexion. Les besoins d’accompagnement et de soutien exprimés par les jeunes confrères et consœurs qui découvrent le monde du travail méritent notamment d’être entendus.

 

Astrid de Boissière,
Vétérinaire

 

Ressources documentaires et bibliographiques :

[1] M. et T. Babot-Jourdan, Vétos-Entraide, Enquête sur la reconversion professionnelle, 2022, [En ligne]. Disponible sur : https://vetos-entraide.com/enquete-de-vetos-entraide-sur-la-reconversion-professionnelle-veterinaire-en-2022/ [Consulté le : 19 septembre 2023] ; 

[2] Visiplus Academy, BVA et LHH, Les actifs français et la reconversion professionnelle, 2021, [En ligne]. Disponible sur : https://academy.visiplus.com/infographie-actifs-et-reconversion-pro [Consulté le : 19 septembre 2023] ; 

[3] D. Truchot et al., La santé au travail des vétérinaires : une recherche nationale, 2022, [En ligne]. Disponible sur : https://www.veterinaire.fr/system/files/files/2022-06/Rapport%20Cnov%20et%20Vétos%20Entraides%20VFinale%2013062022.pdf [Consulté le : 19 septembre 2023] ; 

[4] V. Chamard, Le marché des animaux de compagnie se porte bien, Le Point Vétérinaire, 2023, [En ligne]. Disponible sur : https://www.lepointveterinaire.fr/actualites/actualites-professionnelles/le-marche-des-animaux-de-compagnie-se-porte-bien.html [Consulté le : 19 septembre 2023]. 

 

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