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Éloge de la désobéissance vétérinaire

Crédit photo @ Bartek - stock.adobe.com
Cette tribune m’est soufflée par les parcours et les réflexions des invité·e·s de Vet’o micro, qui sont pour moi une source d’inspiration inépuisable. Elle s’adresse aux vétérinaires qui doutent, qui dépriment, qui culpabilisent… Aux amoureux du monde animal, aux déçus de la profession, aux reconvertis, aux ambivalents, aux intellos, aux timides, aux désabusés. Et à ceux qui, comme moi, se plaisent à désobéir…

 

Cette tribune est également disponible au format audio.
 

La loi du conformisme n’est pas toujours la meilleure...

Nous sommes formatés. D’abord par un système scolaire français qui, s’il a permis l’ascenseur social en d’autres temps, reste très normatif et valorise la soumission à la consigne. Ensuite par un cursus ultra-élitiste, celui des classes préparatoires, qui se solde par un concours très sélectif qui nous démontre que réussir se fait " en se conformant ". Enfin, par une formation rigoureuse en école vétérinaire qui nous exhorte à chaque instant à rentrer dans le rang. On nous apprend ainsi à penser et à agir peu ou prou de la même manière. Nous empruntons toujours les mêmes chemins intellectuels et nos neurones communiquent de manière si répétitive que nos synapses sont parfois gagnées par l’usure et l’ennui. Nous nous soumettons si fort au conformisme corporatiste que certains d’entre nous oublient même les valeurs fortes dans lesquelles ils se sont construits. C’est ce que nous explique Floriane (#22), dont la culture familiale avait fait naître une conscience environnementale qui s’est éteinte à son entrée en école vétérinaire, pour " rentrer dans le moule " comme elle dit. C’est aussi ce que nous dit Loïc Dombreval (#40) :  " Je me suis fait modeler l’esprit en perdant toute forme de recul sur la relation entre l’Homme et l’animal. "  Nous avons tellement appris à obéir et à réussir dans la norme plutôt qu’à exprimer notre singularité que lorsque nous sortons de l’école, nous ne savons pas vraiment qui nous sommes. C’est là que le malaise s’installe…

Se fragmenter en son for intérieur

Les vétérinaires traversent une crise professionnelle sans précédent, en témoignent les nombreuses études et témoignages sur le sujet. Force est de constater que nous sommes globalement malheureux dans l’exercice de nos métiers, n’en déplaise au grand public. Ce malaise arrive de plus en plus précocement dans le cursus (Louis et Maxime #50Cécile #36) et augmente insidieusement d’années en années après la sortie d’école. En arrivant dans la vraie vie, nous nous trouvons en effet confrontés à une réalité cruelle : l’image que nous avions projetée du métier ne correspond pas à sa réalité. Au début, nous essayons de trouver notre place du mieux que nous pouvons, parfois en luttant contre nous-mêmes. Il arrive même que nous acceptions de faire des choses qui nous dérangent car nous sentons bien qu’elles contreviennent à nos valeurs : euthanasies de convenance, abcès de fixation, céphalosporines de troisième génération en première intention… Petit à petit, insidieusement, nous nous distordons, nous nous fragmentons... Comment faire face à ce désalignement quand on ne sait pas qui on est vraiment, quand on a appris tout au long de sa formation à ignorer sa petite voix intérieure ? Par ailleurs, comment faire face à une confraternité défaillante quand on a justement intégré que si on se soumettait aux règles du groupe, tout irait bien ?

Sortir de la complaisance et prendre ses responsabilités

Pour nous protéger de ce sentiment inconfortable, nous nous inventons donc des excuses : " Je n’avais pas le choix ", " On m'a demandé de le faire ". C’est tellement rassurant… Mais la vérité, c’est qu’on se soumet aussi pour échapper à nos responsabilités. C'est tellement confortable de se dire qu'on n’aurait pas pu faire autrement. Au fond, ce qui nous empêche de désobéir, c’est le confort de nous sentir délesté de la responsabilité de faire un choix. C’est tellement commode de mettre dans le baluchon d’un autre le poids de cette liberté trop encombrante. D’ailleurs, plus nous travaillons pour de grandes entreprises, dans lesquelles les chaînes de commandement sont diluées, plus nous utilisons l’obéissance comme moyen de nous déresponsabiliser à moindre culpabilité. Mais cette attitude ne pointe-t-elle pas une absence de jugement ? Ne sommes-nous pas responsables de ne pas vouloir penser par nous-mêmes ? Car c’est aussi ça désobéir : sortir de la complaisance et prendre ses responsabilités. C’est abattre les carcans mentaux pour penser à nouveau par soi-même et exprimer sa singularité propre. L’obéissance n’est responsable que si nous obéissons " de notre propre chef ", ce qui suppose que nous avons le droit de changer d’avis à tout moment et la latitude de réajuster nos comportements quand nous ne sommes plus d’accord.

Entreprendre le chemin de la désobéissance, c’est enrayer les ressorts de notre passivité. C’est désobéir en premier lieu à soi-même, à ce que nous pensons devoir faire et à ce que nous croyons implicitement mériter. C’est écouter notre voix profonde sous le bourdonnement incessant de la voix normative : c’est pratiquer autrement, c’est manager différemment, c’est construire d’autres modèles, c’est démissionner parfois... Désobéir, c’est affirmer sa singularité. En cela, c’est une forme de courage, même dans le jusque-boutisme : " c’est courageux d’abandonner un métier dont on rêve depuis qu’on est enfant "  (Alexis #52).

Assumer d’être singulier

Parfois, les raisons de s’interroger et de s'insurger semblent évidentes mais pour autant, nous nous demandons toujours si la désobéissance est légitime. Moi, je crois que nous exagérons son coût. La fin du monde vétérinaire véhiculée par les adeptes du " c’était mieux avant " est une légende, forgée par quelques rétrogrades qui ne conçoivent pas l’idée d’un mode de fonctionnement différent dont ils ne seraient pas les instigateurs. Une légende malheureuse qui pousse à l’usure celles et ceux qui espèrent un changement de paradigme. Dans ce monde qui évolue à toute vitesse, nous sommes en train de faire l'expérience que nous ne pouvons plus nous dérober, qu’il est temps d’agir, de dénoncer, de refuser parfois. Dans un système qui a démontré ses effets délétères sur notre psyché, sur la manière dont nous traitons parfois les animaux mais aussi la planète, désobéir en interrogeant notre système de valeurs semble être une piste pertinente pour ré-enchanter la profession.

Personne ne peut désobéir à notre place : par conséquent, n’attendons pas d’y être autorisés. Si cette petite lueur de désobéissance brille au fond de vous, attisez le feu ! Et passez à l’acte pour exprimer votre singularité par des actions. Comme Floriane (#22), qui a repensé sa pratique à l'aune de la question environnementale ; comme Inès (#15) ou Tiphaine (#39) qui ont pris le large pour nourrir leur passion ; comme Théo (#21) qui chaque jour, donne du sens à son engagement contre la précarité ; comme Marie-Claude Bomsel (#38), qui a refusé le conformisme toute sa vie ; comme Audrey (#55), qui utilise ses diplômes pour protéger l’écosystème marin ; comme tant d’entre nous qui nous levons chaque jour pour être fidèles à nos engagements…

Résistez, revendiquez, frondez ! Voilà ce que nous disent les invités de Vet’o micro et que je voudrais faire comprendre à nos consoeur·frères, surtout les plus jeunes d’entre eux car ils sont les colonnes portantes du monde vétérinaire de demain. Écoutez l’exigence éthique au fond de de votre cœur : parce que vous êtes la seule personne qui peut vous commander d’obéir. Pratiquez l’objection de conscience en refusant de faire ce qui est en contradiction avec vos valeurs. Ça fait du bien de ne pas cautionner l’iniquité d’un système au nom de ses convictions, de se sentir aligné avec soi-même. Construisez d’autres chemins dans vos têtes, sortez des sentiers battus. Laissez de la place à l’inspiration, ce mouvement intérieur exaltant dont tant de nos invités parlent, car les vétérinaires, contre toute attente, sont de grands créatifs. Enfin, saisissez toutes les occasions de votre vie pour faire briller votre étoile singulière dans la galaxie triomphante de la norme.

Enseignons la désobéissance

Et si préparer les étudiants vétérinaires à la réflexion autonome contribuait à limiter leur désertion précoce de la pratique ? Et si bâtir notre enseignement sur un potentiel de désobéissance plutôt que sur une capacité d’obéissance faisait renaître nos vocations ? Je me surprends alors à rêver d’une école vétérinaire où on nous enseignerait la liberté, où on nous " ouvrirait l’esprit sur des questions de société ", comme le dit Loïc Dombreval (#40). On me répondra sûrement qu’il y a déjà une grande diversité de matières et qu’il est bien plus utile d’apprendre à faire une prise de sang, à poser un cathéter, à ligaturer des ovaires ou à connaître des posologies usuelles. Certes… Le pragmatisme se heurte souvent aux paradigmes. Mais je continue de rêver d’une école où on nous apprendrait à échouer avec courage plutôt qu’à réussir avec conformisme, d’un monde du travail où les chefs d’entreprises valoriseraient la désobéissance de leurs salariés avec joie et fierté. Parce qu’enseigner et valoriser la désobéissance, c’est remettre en question le convenu et enrayer les dominations systémiques qui nous entravent ; c’est créer l’espace où s’exercera notre libre-arbitre, celui qui se vit sur le terrain : dans les salles de consultations, dans les élevages, dans les abattoirs, ou même dans les grandes entreprises agroalimentaires ou pharmaceutiques pour lesquelles nous travaillons. Apprendre à désobéir, c’est s’extraire, pour le meilleur, de la pensée conventionnelle, pour finalement, un jour, changer les choses...

La force du collectif

C’est (entre autres) parce que nous n’avons pas appris à désobéir que nous ne parlons pas d’une même voix, que nous ne prenons pas notre pleine place dans le débat public sur des sujets de société structurants pour l’avenir, comme le futur de l’agriculture et de l’élevage, l’écologie ou le bien-être animal. Pourtant, ces sujets valent la peine que nous nous levions d’un même élan. Je rêve que nous nous mettions à désobéir ensemble, collectivement, pour revivifier notre profession, redécouvrir notre confraternité et signifier un refus collectif d’être parfois dirigés d’une manière qui ne nous convient pas. Cessons de réduire l’exercice de nos métiers à des convenances, des règles et des procédures. Soignons avec nos convictions, avec notre intuition, avec notre voix profonde. Rêvons ensemble d’un grand bouleversement empathique et solidaire, d’une révolution vétérinaire collective.

Travailler dans l’écosystème de la santé animale à sa manière, sans se trahir soi-même dans un monde où la rentabilité est reine et où le temps s’est accéléré, c’est avant tout désobéir ! Alors, désobéissez, sans relâche…

" Deviens ce que tu es "  (Nietzsche)

 

Marine Slove,
Vétérinaire & Éditrice associée

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