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ASV salariée, avancer quand la radiation menace

Crédit photo @ Studioanna, Anna Camerac
S’il est de notoriété publique que " nul n’est censé ignorer la loi " , qui peut encore ignorer aujourd’hui l’orage qui gronde dans le milieu vétérinaire ? Alors que l’Ordre et les chaînes de cliniques s’opposent dans un conflit juridique complexe, personne ne peut rester totalement indifférent à la situation.
C’est dans ce contexte, qu’il y a quelques jours, je découvre au matin le message que m’a laissé dans la nuit une ASV touchée de plein fouet, sans vraiment s’y attendre, par l’annonce de la possible fermeture à court terme de la structure dans laquelle elle travaille depuis plus de 7 ans.  

Son message, c’est une succession de questions. Qu’est-ce qui se passe ? Que va-t-il se passer ? Que risque-t-on ? Que peut-on faire ? Un sentiment d’impuissance et d’injustice devant une situation qui lui échappe et sur laquelle, ils et elles n’ont aucun contrôle, elle, comme l’ensemble de ses collègues qu’elle représente en tant que déléguée du personnel.

Petit retour sur la situation : un climat changeant

2018 : Les chaînes d’établissements de soins vétérinaires débarquent en France et commencent à investir dans l’achat de structures vétérinaires. La loi française n’interdit pas la constitution de telles chaînes cependant, si celle-ci est autorisée, elle reste très encadrée.

2019 : L’Ordre des vétérinaires (CNOV et CROV) engage des procédures de radiation administrative contre certains établissements de soins achetés par ces chaînes. En effet, ils ne respecteraient pas l'article L. 241-17 du Code rural dont le but est de s’assurer que les vétérinaires des structures concernées, associés ou salariés, exercent  " leur art dans le respect de leur indépendance professionnelle ". 

Deux motifs principaux sont alors avancés :

  1. Les structures ne seraient pas réellement entre les mains des vétérinaires qui y exercent, elles ne respecteraient pas l'obligation de  " détention de la majorité du capital et des droits de vote par les vétérinaires en exercice au sein de la société " ;

  2. Une partie des investisseurs des chaînes ne seraient pas suffisamment neutres par rapport à l’écosystème vétérinaire et il y aurait une sorte de " conflit d’intérêt " (par exemple, certaines parts des chaînes sont détenues par des géants de l’agro-alimentaire qui fabriquent et commercialisent notamment de l’alimentation pour animaux).

Dans la foulée, certaines des procédures de radiation sont contestées par les chaînes. C’est le Conseil d’État qui a alors pour rôle de juger qui de l’Ordre ou des chaînes de cliniques a " raison  " aux yeux de la loi française et européenne. Dans l’attente de cette décision, les procédures de radiation enclenchées par l’Ordre sont suspendues.

Le 10 juillet dernier, le Conseil d’État a rendu ses décisions. S’il rejette l'argument de l'Ordre portant sur la présence d'actionnaires interdits au sein des chaînes (les petfooders), il confirme la validité des radiations prononcées par l’Ordre. En effet, il explique que " l'obligation de détention de la majorité du capital et des droits de vote par les vétérinaires en exercice au sein de la société n'est en effet pas satisfaite dans certains cas ".

Le 12 juillet 2023 : L’ordre a publié un communiqué " au sujet des décisions rendues par le Conseil d’État ". En pratique, il y annonce que le Conseil d’État ayant rejeté les requêtes des chaînes de cliniques, les décisions de radiation deviennent définitives. L’ordre insiste sur le fait que : " L’objet des démarches engagées […] n’est pas de fermer des sociétés d’exercice vétérinaire, ni des établissements de soins vétérinaires, mais bien que l’ensemble des vétérinaires, personnes physiques et personnes morales, inscrites au tableau de l’Ordre respectent les lois et les règlements applicables en France à la profession réglementée de vétérinaire. 

Le 24 juillet : Le président de l’Ordre National des Vétérinaires s’engage à laisser 2 mois aux sociétés concernées sous réserve que celles-ci confirment par écrit qu’elles s’engagent à se mettre en conformité.

Le 28 septembre : L’ordre publie un nouveau communiqué. Considérant que les chaînes d’établissements de soins vétérinaires n’ont pas " saisi cette main tendue ", il annonce qu’il notifiera les sociétés d’exercice concernées par les radiations à partir du 12 octobre. Radiations qui seront effectives 8 jours après réception de la notification.

Après les éclairs, le tonnerre

Si jusque-là, les querelles administratives et juridiques n’avaient eu que peu d’impact sur les salariés des structures concernées, cette fois les choses sont différentes.

Le 28 septembre, à l’annonce de l’Ordre de rendre effectives, sous 15 jours, les radiations administratives de certains établissements de soins rachetés par des chaînes, il est en pratique question de fermeture de cliniques et même de CHV. Impossible dès lors de ne pas se demander quelles vont être les conséquences pour les salariés de ces entreprises, pour leurs clients et enfin pour leurs patients.

C’est donc sous le choc de l’annonce de la situation par ses patrons, que cette ASV témoigne :

Depuis début octobre, mes collègues ASV et moi nous retrouvons au beau milieu d’un conflit qui oppose l’Ordre National des Vétérinaires à certaines chaînes d’établissements de soins vétérinaires.

Nous venons seulement d’apprendre qu’une procédure de radiation de certaines structures vétérinaires a été enclenchée depuis plusieurs mois et qu’elle pourrait devenir effective pour nous d’ici moins de 3 semaines. Nous déplorons le fait qu’aucune communication n’a été faite en amont pour nous en avertir et pour nous permettre de nous y préparer. C’est la douche froide pour nous toutes, nous sommes complètement dépassées par la situation. 

De mon côté, je supporte très mal tout ça. Je trouve ce contexte très anxiogène. Je vis au jour le jour, au fil des brides d’informations qui me sont communiquées et qui évoluent chaque jour. 

À l’heure actuelle, mon avenir professionnel est incertain, je me sens incomprise et impuissante. Mes sentiments sont partagés entre tristesse, amertume et colère. 

En tant que salariée depuis 7 ans, d’une structure vétérinaire vendue par mes patrons à un chaîne de cliniques il y a 3 ans, je risque d’être pénalisée mais ne sais absolument pas ce que l’on va devenir. Licenciement ? Droits au chômage ? Personne ne sait nous dire exactement ce qui nous attend si la fermeture devait être officialisée. De plus, en tant que propriétaire d’animaux domestiques, je perdrais du même coup leurs soignants, dans une zone géographique où trouver un vétérinaire disponible est déjà un défi.

Je croise les doigts pour que la situation s’améliore rapidement et pour que des solutions soient trouvées en bonne intelligence.  

Il en va de la santé et de l’avenir de nos compagnons à 4 pattes et des nôtres ! 

 

Ce témoignage date du 10 octobre. À ce moment-là, les premières notifications de radiation étaient attendues 2 jours plus tard. Et si les salariés avaient reçu l’engagement de leur chaîne et de leurs patrons qu’ils les accompagneraient, nul ne savait de quoi serait fait les jours suivants.

Le 11 octobre, l’Ordre a publié un communiqué en Infoflash afin d’annoncer que le Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire organisait une procédure de conciliation pour permettre la mise en conformité des sociétés d’exercice vétérinaire concernées.

Cette procédure de conciliation se déroulera en 2 temps sur 4 mois. Une première période, de 1 mois, devrait permettre la clarification de l’interprétation de l’avis du Conseil d’État puis la seconde phase, de 3 mois, sera celle de la mise en conformité effective des sociétés d’exercice vétérinaire. Un peu de répit pour les salariés et les patients de ces structures.


L’enjeu de cette bataille administrative et juridique est complexe. Les avis divergent, les arguments s’opposent. Et si personne ne sait pour l’heure quelle sera finalement l’issue de cette histoire, une chose est sûre, on ne peut qu’espérer que les salariés ne soient pas considérés comme de simples dommages collatéraux.

 

Manuelle Hoornaert,
Vétérinaire & Rédactrice en chef

 

Je remercie l'ASV qui témoigne ici sous couvert d'anonymat pour sa confiance. 

Si vous aussi vous souhaitez vous exprimer, sur e sujet ou un autre, n'hésitez pas à nous contacter sur bonjour@temavet.fr.

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