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Le Mommy Brain : et si les vétérinaires n’étaient pas épargnées ?

Crédit photo @Valerii - stock.adobe.com

Que celles qui ont eu l’impression d’avoir perdu une partie de leurs neurones depuis leur grossesse se rassurent : elles ne sont pas seules, et ce phénomène a même été étudié. Ce qu’il se passe dans le cerveau des mères et futures mères fait, en effet, l’objet de recherches en neuro-sciences, et l’apport de l’imagerie a permis de mieux comprendre ce qu’il se jouait dès la grossesse, mais également après.


Le terme Mommy Brain a été choisi pour qualifier les changements vécus par beaucoup de femmes pendant cette période, mais derrière cette expression en apparence anodine se cache un véritable enjeu en matière de santé mentale. Comment les vétérinaires traversent-elles ces bouleversements, et comment le Mommy Brain se manifeste-t-il chez elles ?

Le Mommy Brain : de quoi parle-t-on ?

« Mommy Brain » est un terme anglo-saxon utilisé pour décrire les troubles de la mémoire et de l’attention que ressentent près de 80% des femmes pendant leur grossesse et pendant les mois qui suivent. On pourra également tomber sur les expressions « momnesia » (ou « mamnésie » en français, contraction de « maman » et d’« amnésie »). Ces troubles cognitifs, bien que parfois handicapants, sont tout à fait normaux et peuvent persister pendant deux ans.

En réalité, le Mommy Brain est surtout la conséquence des remaniements structurels du cerveau de la future mère, qui s’opèrent dès le début de la grossesse [1].

 

Les études montrent que la taille globale du cerveau diminue de 5 à 15% pendant cette période. Certaines zones se développent au détriment des autres, comme, par exemple, les zones liées à l’attachement et à l’empathie qui sont activées pendant la grossesse. Malgré la diminution de son volume, le cerveau de la future mère n’est pas pour autant moins efficace, ou moins intelligent. Celui-ci se spécialise, et se prépare à ses nouvelles fonctions.

Pour la femme enceinte, ou la jeune maman, l’expérience du Mommy Brain peut pourtant être assez désagréable. Petits oublis, manque du mot, troubles de la concentration, impression de brouillard mental, léger déficit de mémoire à court terme… sont autant de situations banales qui se multiplient lorsqu’on est confrontée à la mamnésie. Les anecdotes amusantes ne manquent pas : clés oubliées sur le coffre de la voiture en rentrant d’une visite d’élevage, propriétaire qui a déposé son animal pour une chirurgie le matin et que l’on ne reconnaît pas l’après-midi, tubes qui tournent dans la centrifugeuse pendant une heure avant qu’on pense à les récupérer… ou bien même le trou complet, alors qu’on avançait d’un pas assuré vers une zone de la clinique : « mais qu’est-ce que je suis venue faire là, déjà ? ».

Ce qui est étonnant, c’est que lorsqu’on fait pratiquer des tests cognitifs aux femmes enceintes et jeunes mamans en laboratoire, celles-ci obtiennent les mêmes résultats que les autres. Cependant, lorsque ces mêmes tests sont réalisés à la maison, alors de petites différences sont mises en évidence. Sans remettre en question la réalité des symptômes ressentis, cela suggère que le stress, les interruptions fréquentes et le poids de la charge mentale peuvent jouer sur les performances intellectuelles. Tiens, est-ce que cela ne rappellerait pas aussi nos conditions de travail ? Le manque de sommeil, si fréquent pendant la période post-partum, affecte également les fonctions cognitives et contribue à l’effet « cerveau perturbé ».

Ces changements concernent une majorité de femmes, quelle que soit leur catégorie socio-professionnelle. Les vétérinaires sont donc également concernées, mais celles-ci peuvent être particulièrement perturbées au quotidien, tant notre métier demande concentration, mémoire, et capacité à gérer de multiples tâches en même temps.

Notons que le cerveau des hommes aussi, est sujet à quelques changements quand ceux-ci débutent leur paternité : leurs niveaux d’hormones se modifient (la testostérone chute, et la prolactine et l’ocytocine augmentent) et on observe une activation des mêmes zones du cerveau que chez les mères. Néanmoins, ces changements sont de moindre ampleur, et ils sont bien moins nombreux à se plaindre de symptômes.

Mommy Brain et santé mentale

Grâce à son incroyable plasticité, le cerveau est donc capable de se restructurer. Pendant la grossesse et le post-partum, la femme est soumise à d’importants bouleversements hormonaux qui vont influencer ces changements cérébraux. Bien qu’essentielles, ces modifications hormonales peuvent également rendre les femmes plus vulnérables : les émotions, l’anxiété sont décuplées chez certaines.

Après l’accouchement, le risque de dépression touche entre 10 et 20% des mères selon les sources [2], et le suicide est la deuxième cause de mortalité maternelle en France, juste derrière les maladies cardiovasculaires.

Nul besoin de rappeler que notre profession est déjà tristement très concernée par le suicide : plus que jamais, les vétérinaires qui passent par l’expérience de la maternité ont besoin que l’on prenne soin d’elles, elles qui donnent tellement au quotidien.

Par ailleurs, peut-être est-il temps de changer de paradigme, et d’arrêter cette culture de la maternité qui voudrait qu’une femme enceinte ou jeune maman soit nécessairement très heureuse et épanouie. A cette pression sociétale s’ajoute une pression professionnelle : celle de se retrouver rapidement performante après son congé maternité. Il faut prouver que l’on est toujours aussi efficace et rigoureuse, mais comment retrouver sa confiance en soi lorsqu’on a l’impression que son cerveau nous joue quelques tours, ou lorsque les pensées moroses nous envahissent progressivement ?

La recherche concernant les changements hormonaux et neuronaux, et la façon dont ceux-ci affectent le cerveau en est encore à ses débuts. Par manque de moyens, malheureusement, les études sont peu nombreuses à l’heure actuelle, mais si celles-ci se poursuivent, on peut espérer que la psychiatrie périnatale se développe, et que la dépression post-partum soit mieux comprise et prise en charge. Lever les tabous autour de la santé mentale en général ne serait d’ailleurs que bénéfique pour notre profession si souvent malmenée.

Libérer les super-pouvoirs du Mommy Brain

On l’a dit, peut-être faut-il changer de perspective. Le Mommy Brain n’a rien de permanent, et les symptômes durent deux ans, tout au plus. Certes, les troubles mineurs de la mémoire sont légèrement pénibles à vivre au quotidien, mais les femmes enceintes et jeunes mamans acquièrent également de nouvelles compétences.

La maternité semble modifier la physiologie liée au stress : chez certaines femmes, les axes hormonaux responsables du stress peuvent être légèrement inhibés. Ainsi, certaines se sentent particulièrement confiantes et détendues pendant leur grossesse, surtout pendant le troisième trimestre. Quand on sait que les vétérinaires sont très souvent stressés au travail, une petite dose de bien-être et de zen’attitude ne peut être que la bienvenue.

On peut également noter que chez de nombreuses femmes, la maternité va décupler leurs facultés d’empathie et d’attention tournée vers les autres. Les nouvelles mères seraient plus endurantes face au stress, plus efficaces lorsqu’il s’agit de gérer plusieurs tâches en même temps, et capables de plus de recul face à certaines situations. Alors valorisons ces qualités, qui ont toute leur place dans notre quotidien de vétérinaires !


Le concept de Mommy Brain permet donc d’expliquer certains symptômes déroutants, que les femmes sont fréquemment amenées à subir dès le début de leur grossesse. Pour autant, tout ne se justifie pas uniquement par la biologie, et il est important de regarder le tableau d’ensemble : stress, fatigue, manque de sommeil et charge mentale qui explose font également partie des éléments qui peuvent donner l’impression que son cerveau ne fonctionne plus comme avant. Que l’on se tranquillise, c’est bien loin d’être le cas !

 

Astrid de Boissière,
Vétérinaire

 

Ressources documentaires et bibliographiques :

[1] Hoekzema, E., Barba-Müller, E., Pozzobon, C. et al. Pregnancy leads to long-lasting changes in human brain structure. Nat Neurosci 20, 287–296 (2017). https://doi.org/10.1038/nn.4458 [Consulté le : 10 avril 2023] ;

[2] Wang, Z., Liu, J., Shuai, H. et al. Mapping global prevalence of depression among postpartum women. Transl Psychiatry 11, 543 (2021). https://doi.org/10.1038/s41398-021-01663-6 [Consulté le : 10 avril 2023] ;

[3] Clémentine Sarlat. Les super pouvoirs du Mommy Brain - Jodi Pawluski neuroscientifique [podcast]. Art19, 14/10/2022, 49 min. Disponible sur : https://lamatrescence.fr/episode-110-les-supers-pouvoirs-du-mommy-brain-jodi-pawluski-neuroscientifique/ [Consulté le : 10 avril 2023] ;

[4] Clémentine Sarlat. Devenir mère - l’incroyable bouleversement du cerveau VO [podcast]. Art19, 04/05/2020, 35 min. Disponible sur : https://clementinesarlat.com/2020/05/04/devenir-mere-lincroyable-bouleversement-du-cerveau-vo-english/ [Consulté le : 10 avril 2023] ;

[5] Ali Rebeihi. Que se passe-t-il dans le cerveau quand on devient mère [podcast]. France Inter, 05/10/2022, 51 min. Disponible sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/grand-bien-vous-fasse/grand-bien-vous-fasse-du-mercredi-05-octobre-2022-5862202 [Consulté le : 10 avril 2023] ;

[6] Clare McCormack, Bridget L. Callaghan, Jodi L. Pawluski. It’s time to rebrand « Mommy Brain ». JAMA Neurol. [En ligne]. Disponible sur : https://jamanetwork.com/journals/jamaneurology/article-abstract/2801288 [Consulté le : 10 avril 2023].

 

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