Le reportage à peine diffusé, les réseaux sociaux de la profession s’enflamment. Et, entre les remarques sur le manque de professionnalisme des journalistes impliqués et les appels à nos organisations professionnelles vétérinaires pour faire rectifier le tir, c’est une vraie souffrance qui s’exprime. Que se passe-t-il ? Comment un simple reportage de quelques minutes a-t-il pu mettre le feu aux poudres à ce point ?
La maladresse (volontaire) des journalistes
Ni une, ni deux, je visionne le reportage en question. Et s’il paraît évident que l’idée de faire du buzz avec un sujet qui touche près d’un français sur deux soit tout de même 34 millions de personnes, donne un reportage pour le moins… maladroit ; je constate tout de même que sur le fond, le message, bien que brouillé (voire brouillon), ne me semble pas vraiment anti-vétérinaires.
Petit retour en arrière. Si le reportage explique en effet que les frais vétérinaires coûtent cher, c’est un fait. Et, si l’usage délibéré du terme « exorbitant » laisse entendre que ces tarifs « dépassent la juste mesure », il n’est dit à aucun moment que ce sont les vétérinaires qui facturent trop. C’est l’histoire de la valeur absolue versus la valeur relative.
Pour fixer ses tarifs, un professionnel, quel que soit son métier, doit tenir compte de nombreux paramètres tels que la TVA (20 % en ce qui concerne les vétérinaires), les charges (URSSAF, loyer, coût du matériel, salaires, charges sociales…), le coût des formations (les vétérinaires ont une obligation de formation continue qui nécessite de payer ces dites formations, de se faire remplacer, de se déplacer, se loger…), le coût des assurances… Et croyez-le ou non, mais à y regarder de plus près, la marge bénéficiaire que les vétérinaires dégagent n’est pas à la hauteur des fantasmes de la population générale. Pour être rentable, pour vivre et assurer la pérennité de son activité ô combien précieuse, un vétérinaire ne peut pas sous facturer ses actes car la médecine vétérinaire à un coût. Un coût de plus en plus important notamment au vu de l'évolution des connaissances, des techniques et des attentes de la clientèle en termes de qualité de soins qui obligent à de lourds investissements matériel et humain. Un coût qui est, comme tout le reste, impacté par l’inflation. Or, alors que l’inflation sur les deux dernières années s’élèvent à 5,2 % en 2022 et à 4,9 % en 2023, les tarifs vétérinaires auraient eux augmenté de seulement 2 % sur cette même période, toujours d’après le reportage en question. Ne peut-on pas y voir une volonté des vétérinaires de faire au mieux pour les animaux et leurs propriétaires ?
Pour autant, si on pense en valeur absolue, c’est autre chose. Force est de constater que les frais vétérinaires restent élevés et lourds à porter pour la plupart des bourses. D’ailleurs, le reportage, s’il prétend que les consultations vétérinaires sont plus coûteuses que les consultations en médecine humaine (on oublie là tout de même de parler de la part non conventionnée des médecins et des dépassements d’honoraires), rappelle à juste titre que la principale différence entre les deux tient à la sécurité sociale. N’est-ce pas là une chose qu’il est intéressant de relever et de rappeler à tous ? La médecine humaine coûte très cher elle aussi mais ce n’est pas vous qui payez, du moins pas directement. Et comme nous ne voyons jamais (ou trop rarement) les factures des dits soins, impossible de réaliser qu’une simple appendicite avec 48 heures d’hospitalisation puisse coûter plus de 4 500 € !
Autre point qui mérite d’être mis en avant ici, les journalistes notent que « vétérinaire » est une profession de services non reconnue comme profession de santé. Là encore, c’est un fait. Et, arrêtez-moi si je me trompe, mais il s’agit là d’une remarque qu’il est bon d’entendre et qui sonne plutôt comme un reproche à l’État. À l’heure du one-health, comment ne pas envisager d’ailleurs, que cette réalité puisse être à l’origine de bien des problèmes de santé animale mais aussi humaine et environnementale bien malgré les vétérinaires et contre notre volonté.
Enfin, si le reportage tente un lien maladroit entre les abandons et le coût des soins vétérinaires (les statistiques et les liens de corrélation ne sont peut-être pas le point fort de tous), il ne me semble pas possible d’inférer sur la responsabilité des vétérinaires d’après leurs propos. Bien au contraire, la responsabilité est mise sur les épaules des propriétaires en leur rappelant qu’adopter un animal doit être un acte réfléchi qui doit prendre en compte le coût économique d’une telle décision. Ne partagez-vous pas cet avis ?
Le mal-être des vétérinaires en toile de fond
À ce stade, une question s’impose. Si les vétérinaires ne sont pas réellement la cible de ce reportage, pourquoi certains d’entre nous ont-ils si mal pris la chose ?
Alors, je vous rassure, je ne remets absolument pas en cause le ressenti des confrères et consœurs blessés par ce reportage. Je les comprends, je respecte leur point de vue et les remercie d'avoir exprimé tout haut leur désarroi. Je vois bien dans ce reportage ce qui les dérange et cela me touche. Mais je m’interroge. Ne serait-ce pas une histoire de verre à moitié vide ou à moitié plein ? De biais de positivisme ou de pessimisme ? Voire de biais d’attribution hostile ? À force de voir notre profession désavouée, n’avons-nous pas tendance à nous sentir persécutés, à toujours penser que les intentions de l’autre sont forcément mauvaises à notre égard ?
Les vétérinaires, vos vétérinaires, vont mal. Et ce n’est pas une sorte d’auto-proclamation, bien au contraire. Nous, les vétérinaires, sommes fiers. Nous avouer à nous-mêmes qu’on ne tient pas le coup, qu’on n’y arrive plus, qu’on n’a plus envie, nous coûtent souvent bien plus que vous ne pouvez l’imaginer parce que l’on a été construits comme ça. Une profession d’élite qu'ils disent. Nous sommes les privilégiés de la Société, ceux qui ont eu la chance de pouvoir atteindre cet objectif. Mais ce rêve, partagé par tellement d’enfants, devient pour certains d’entre nous un cauchemar d’adulte. Ce mal-être latent est tel qu’il a donné lieu à une étude sur la santé au travail des vétérinaires menée par Didier Truchot, Professeur en psychologie sociale. Et les résultats sont édifiants… terrifiants.
En cause, de nombreux stresseurs comme la charge de travail (pénurie de vétérinaires, gardes et astreintes…), le difficile équilibre vie professionnelle-vie privée, la charge émotionnelle face à la détresse des animaux et des clients, les problèmes financiers, la peur de l’erreur, la peur des blessures, le travail morcelé... Pour ne prendre qu’un seul exemple, les idéations suicidaires sont 4 fois plus présentes chez les vétérinaires que dans la population générale et 2 fois plus que dans les professions de santé. Ces chiffres révèlent à eux seuls, l’envers du décor. Aujourd’hui, trouver un vétérinaire qui ne connaît pas un confrère ou une consœur parti bien trop tôt pour que tout ça s’arrête… relève du défi. NOMV.
Notre profession, qui fort heureusement fait encore briller des étoiles dans les yeux de beaucoup d’entre nous, est aujourd’hui la cible d’attaques incessantes. Le bourdonnement des reproches en tout genre nous empêche d’entendre les mots positifs pourtant nombreux et pèse sur nos épaules et sur notre moral poussant certains d'entre nous à quitter la pratique. « Vous êtes trop cher », « Vous n’aimez pas les animaux », « Vous vous êtes trompés », « C’est à cause de vous si Titi est mort ! », « Mais moi, je travaille ! » Et ça ne s’arrête pas là. À tel point qu’un observatoire des agressions et incivilités a été créé par le conseil supérieur de l’Ordre des vétérinaires en 2005 et qu’il ne cesse de recevoir toujours plus de témoignages de consœurs et confrères agressés dans l’exercice de leur profession. Les plaintes pour menaces en tout genre et notamment de viol se multiplient mais rien n’y fait, les vétérinaires sont blessés, à terre pour certains.
Dans une Société où la frustration et la colère sont légion, les vétérinaires praticiens, comme de bien trop nombreux autres professionnels, subissent leur quotidien et ses contraintes bien loin de l’image d’Épinal que le grand public a de leur profession. Comment dans ce contexte, espérer que le reportage quelque peu bancal de M6 puisse ne pas être pris comme une énième attaque ? Nous qui avons choisi ce métier pour soigner. Pour aider les animaux et leurs propriétaires. Nous qui sommes pour beaucoup sensibles, empathiques et sujet à l’épuisement émotionnel, nous aimerions hurler que « vétérinaire » est notre passion mais que ce métier nous coûte parfois bien plus que le prix de nos actes.
Manuelle Hoornaert,
Vétérinaire & Rédactrice en chef