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L’intégration en école vétérinaire : la parole est à vous !

Crédit photo @ Looker_Studio - stock.adobe.com
Intégration, accueil, baptême, bizutage... Les termes sont pluriels, le sujet, unique. Un sujet qui, depuis plusieurs années, alimente les controverses entre ses plus fervents détracteurs et défenseurs. Celui-ci récolte en outre les fruits d’une perception publique relativement critique. A juste titre ? La question est complexe, les enjeux multiples. L’intégration vétérinaire n’est pas exempte de polémiques qui, chaque année, interrogent la pérennité de cet évènement culturel et traditionnel.

Chez TÉMAvet, nous portons haut les thématiques qui questionnent au quotidien la profession. Dans deux de nos articles précédents [1], nous revenions sur l’évolution des traditions d’accueil, spécifiques à chaque école vétérinaire. Un exposé historique et factuel éloigné de toute volonté argumentaire. Difficile toutefois de ne pas s’attarder sur certains témoignages rendus publiques - évoquons notamment la tribune du Monde publiée en 2022 [2] - qui questionnent, toujours et encore, le bien-fondé de certaines pratiques intégratives.

Ainsi, pour étayer la réflexion à ce sujet, aussi clivant soit-il, nous avons décidé d’opter pour une discussion tout aussi éclairée que nuancée. Et pour qu’elle soit la plus représentative possible, quoi de mieux que de vous donner la parole ! Ce faisant, nous souhaitions que vos témoignages puissent se croiser, se répondre ou se confronter, loin de tout amalgame ou généralité.

Un sujet qui vous mobilise

Ce questionnaire de 25 questions à réponses ouvertes ou fermées, fut l’occasion de vous exprimer librement à ce sujet. Vous êtes 966 à y avoir répondu, incluant parmi vous :

  • 66 % de femmes et 34 % d’hommes, confirmant la nette féminisation objectivée dans la profession.

  • 77,5 % de vétérinaires issus d’une école belge et 22,5 % de vétérinaires issus d’une école française.

  • Des promotions diversifiées s’échelonnant de 1962 à 2022 (dates d’entrées en école), avec toutefois, une majorité d’étudiant.e.s ou de vétérinaires nouvellement diplômé.e.s.

Vous êtes 86 % à avoir participé à l'intégration organisée dans votre école d’origine. Parmi ceux qui ont décidé de ne pas y prendre part (14 %), 97 % viennent d’une école en Belgique. Les raisons évoquées sont reprises dans la suite de l’article.

L'intégration plébiscitée

Si pour ceux qui ne l’ont pas vécu, l’intégration est souvent mal perçue, la majorité de vos retours “ in vivo ” témoignent du contraire. Ainsi, 93 % d’entre vous en gardent un souvenir très positif et rapportent une ambiance à la fois “ festive ”, “ joyeuse ”, “ folklorique ” et “ bon enfant ”. “ La semaine de l’accueil était une des plus intenses de ma vie et je porterai ce souvenir positif à jamais ” (Alfort, 2021), “ Je recommande 1000 fois cette expérience enrichissante ” (Belgique, 2009), “ Si c’était à refaire, je le referais sans hésiter ” (Belgique, 2017). Preuve de votre perception enthousiaste, 48% et 44% d’entre vous affirment qu’elle s’est déroulée nettement mieux/conformément à vos attentes.

La fraternité

Un des éléments explicatifs à cet engouement concerne l’impact de l’intégration sur le plan des relations humaines. Une expérience qui, pour 85 % d’entre vous, favorise la création de liens d'amitié indéfectibles. Et de fait, vos commentaires témoignent d’un réel esprit de corps : “ J’ai créé de forts liens avec des anciens qui m’accompagnent dans la vie et pour la vie ” (Lyon, 2021), “ L’intégration porte un message fort sur la solidarité entre futurs consœurs et confrères ” (Toulouse, 2021), “ Mes parrains, marraines et fillots sont des gens sur qui je peux compter et qui m’apportent du soutien dans ce métier ” (Belgique, 2016).

En outre, 95 % estiment que l’intégration est fédératrice et véhicule des valeurs telles que la solidarité, l’entraide et la fraternité, représentatives de l’esprit de la profession. Une consœur toulousaine (2002) écrit à ce propos : “ C'est ce que devraient percevoir les vétos en entrant à l'école : la confraternité, l'écoute, l'inclusion qui sont les socles fondamentaux du travail d'équipe. 

Ce constat corrobore celui de sociologues comme Pierre de Visscher, qui s’est penché sur le sujet. Celui-ci montre en effet que ces valeurs relationnelles découlent de ce que les nouvelles recrues sont amenées à vivre, hors de tout cadre social “ normal ”. L’intégration se déroulant avec une vitesse et une intensité record, tout concoure à ce que l’esprit de groupe soit exalté et s’avère, in fine, fédérateur [3]. Mais sous quelles conditions ?

Dans son étude, Pierre de Visscher note que certains intégrés d’universités belges, ravis de s’être fait " pleins de potes ”, ont pour autant “ détesté ” leur baptême d’admission. Et, certains de vos témoignages, toutefois moins tranchés, s’orientent en ce sens : “ C’est une expérience qui demande beaucoup de force mentale mais qui apporte par la suite de vrais liens d’amitié ” (Belgique, 2013), “ La semaine d’intégration était très difficile mais le jeu en vaut la peine car on crée des liens très forts ” (Belgique, 2011).

Que recouvrent ces mots et que suggèrent-ils de certaines de nos pratiques ? Pour consacrer ses nouveaux arrivants, l’intégration doit-elle s'apparenter à une initiation plus ou moins éprouvante ?

Les épreuves " ritualisées "

L’analyse sociologique du bizutage témoigne d’un phénomène culturel complexe, transmis selon des codes distinctifs, spécifiques à chaque école. Brigitte Larguèze, chargée d’études en sciences sociales, évoque des mécanismes ritualisés dont certains se transmettent sur la base d’un conservatisme proclamé. C’est notamment le cas des “ épreuves, travestissements, activités festives et conduites euphoriques ” ainsi qu’une forme de “ hiérarchie basée sur l’ancienneté qui structure le groupe ” [4].

Des épreuves/activités (notons la connotation différente que ces termes recouvrent) diversifiées, spécifiques d’une école à une autre. Or, certaines d’entre elles ont pu être le terreau de dérives incluant : humiliations, railleries, dégradations physiques et psychiques… lesquelles expliquent, en partie, les vives critiques communément émises contre le bizutage (vétérinaire ou non). 20 % d’entre vous témoignent ainsi de : privations répétées de sommeil, commentaires injuriants, activités écœurantes, incitations à consommer de grandes quantités d’alcool... Rarement, l’expression de propos sexualisants à sexistes est rapportée. Pour 80 % d’entre vous, l’intégration s'est déroulée autour d’activités ne présentant aucun caractère humiliant ou dégradant.

La hiérarchie

Hiérarchie et intégration, deux concepts indissociables ? Une consœur (2018) témoigne : “ À Toulouse, une hiérarchie se met en place mais l’ambiance reste toujours bon enfant ”. Un ressenti que 59 % d’entre vous partagent également. Par ailleurs, vous êtes nombreux à noter que, si cette hiérarchie était présente, celle-ci s’exprimait le plus souvent en toute bienveillance et prévenance : “ Mes anciennes étaient toujours très respectueuses ” (Alfort, 2018), “ J’ai été fasciné de constater une telle bienveillance ” (Belgique), “ La plupart des parrains/marraines se comportent très correctement ” (Belgique, 2004).

Toutefois, comme le rappelle Pierre de Visscher, cette hiérarchie peut légitimer chez certains l’expression d’une forme de pouvoir et d’autorité à l’origine de situations problématiques. Certains de vos retours en attestent : “ Il y a un travail à faire auprès des docteurs dont certains se croient tout permis ” (Belgique, 2020), “ Pour certains ce n’était pas un jeu, mais un vrai défouloir ; c’est triste car il y a beaucoup de parrains formidables ” (Belgique, 2012), “ Certaines personnes abusent de leur pouvoir éphémère mais cela reste une minorité ” (Belgique, 2003).

L'effet de groupe

 Nous allions tous dans la même direction, nulle part oui, mais ensemble. ” Ces paroles d’une chanson de J.J. Goldman vous évoquent peut-être le souvenir de votre groupe d’intégration, uni et soudé contre vents et marées. Car le groupe transcende, assurément. Mais qu’en est-il de l’expression des individualités de chacun, eût égard à toute dynamique de groupe ? Sur ce point, 71 % d’entre vous rendent compte d'un effet de groupe notable, sans toutefois qu’il n’ait entravé votre libre arbitre. 19 % d’entre vous ne l’ont pas éprouvé. 10 % d’entre vous estiment au contraire y avoir été fortement soumis.

Un jeu ?

L’intégration ne serait-elle qu’un jeu, que chacun serait prêt à entamer sur une période prédéfinie ? Voilà un postulat qui semble tacitement admis dès son initiation. Une consœur alforienne (2018) évoque ainsi ouvertement “ un jeu qu’on choisit en notre âme et conscience de jouer ”, par ailleurs “ très encadré ” (Belgique, 2001). Pour autant, implique-t-il que chacun puisse à tout moment nuancer son rôle à son gré ?

Le consentement

Quid de votre liberté de choix ? 86 % d’entre vous considèrent avoir pu affirmer leur désaccord ou leur refus face à une situation non consentie. “ Je me suis sentie écoutée lorsque j’ai exprimé un refus sur quelque chose que je ne voulais pas faire ” (Toulouse, 2021), “ Je me suis levée plusieurs fois pour dire stop et j’ai été écoutée ” (Belgique, 2004). Qu’en est-il des 14 % d’entre vous pour qui cela n’a pas été le cas ? Impact du groupe ? Peur du jugement ? De l’exclusion ?

 La notion de liberté de choix demeure dans un petit nombre de cas une contre vérité […] certains se feraient baptiser pour éviter tout ostracisme ” note Pierre de Visscher. Une réalité dont il a pu être question dans certaines écoles belges : “ La seule chose qui m’a posé problème à la suite de mon intégration était cette ségrégation entre baptisés et non baptisés ” (Belgique, 2005), “ la discrimination était très forte et j’en ai souffert ” (Belgique, 1995), “ les soirées baptisées sont interdites aux non baptisés ” (Belgique, 2014). Qu’en est-il à l’aube de l’intégration 2023 ? L’acceptation de la liberté de choix de chacun ne présuppose-t-elle pas de combattre toute exclusion ou stigmatisation rebond ?

L'alcool

S’il y a un point sur lequel vos témoignages convergent, c’est celui-ci. Au royaume de l’intégration, l’alcool semble roi. 67 % d’entre vous considèrent avoir été incités à consommer de l’alcool et ce, de manière bien plus conséquente qu’à votre habitude. “ Je ne comprends toujours pas la consommation d’alcool excessive que l’on impose aux bleus ” (Belgique, 2013), “ J’ai eu le choix de ce que je voulais boire ; par contre si on buvait de la bière, la quantité était astronomique ” (Belgique, 2017), “ L’alcool était omniprésent mais j’ai pu consommer ce que je souhaitais ” (Alfort, 2015). Eût égard à ce constat, vous évoquez toutefois une responsabilisation croissante des comités d’intégration à ce sujet.

De vos expériences ressort un attachement tout particulier pour cet évènement considéré, dans son ensemble, comme un moment festif et hors du temps, fédérant une promotion autour de fortes valeurs corporatives. L’intégration impacte-t-elle à ce point nos idéologies de vétérinaires en devenir ? Quoiqu’il en soit, une très nette majorité d’entre vous plébiscite son maintien et l’évolution vers des pratiques toujours plus bienveillantes et sécuritaires.

Ce questionnaire rend toutefois compte de certains invariants résultant d’un héritage codifié et ritualisé. Loin de tendre vers une intégration totalement édulcorée, il parait a minima nécessaire de questionner ses fondements d’année en année. À ce titre, il semble de la responsabilité des générations à venir et de l’ensemble des acteurs concernés (autorités académiques, comités éthiques, responsables d’accueil) de travailler à une expérience toujours plus constructive et collaborative, tenant compte des libertés chacun, sans risque d’ostracisation pour ceux qui choisiraient de ne pas y participer.

Notons enfin que chaque école possède ses caractéristiques qu’il convient de prendre en compte à la lecture de cet article.


Ainsi perdureront baptêmes, intégrations et accueils, propices à étoffer la famille vétérinaire de demain. Car quoi de plus chouette que de pouvoir dire : “ mon parrain et mes filleuls, tous étaient présents à mon mariage ! ” (Belgique, 1997).

 

Amandine Violé,
Vétérinaire

 

Ressources documentaires et bibliographiques :

[1] Histoire du baptême des étudiants vétérinaires en Belgique et Histoire du bizutage dans les écoles vétérinaires en France ;

[2] M. Miller, « En école vétérinaire, j’ai découvert l’ampleur de la culture de la domination entre élèves », [En ligne]. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/campus/article/2022/09/25/en-ecole-veterinaire-j-ai-decouvert-l-ampleur-de-la-culture-de-la-domination-entre-eleves_6143082_4401467.html [Consulté le : 22 août 2023] ;

[3] P. De Visscher, Les premiers pas d’une vie nouvelle Baptême ou bizutage ? Rites bénéfiques ou traumatisants ? [En ligne]. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-sociale-2015-3-page-493.htm [Consulté le : 22 août 2023] ;

[4] B. Largueze, Histoire d’un rituel entre brimades et traditions [En ligne]. Disponible sur : https://faluche.info/wp-content/uploads/2018/07/bizutage-histoire-rituel.pdf [Consulté le : 22 août 2023].

 

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