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Féminisation des titres professionnels : le changement, c’est maintenant !

Crédit photo @ TÉMAvet

C’est une petite avancée dans notre monde vétérinaire. Un changement que certaines (et certains...) attendaient avec une impatience non dissimulée. Chères consœurs, vous aurez certainement remarqué qu’une petite modification s’est faufilée sur votre caducée de l’année 2023... Elle ne tient qu’à une voyelle près, finale muette qui plus est… un  e ! Place à Mme la docteure vétérinaire ! Une féminisation du titre, in fine appliquée par l’Ordre, qui s’inscrit dans la lignée d’actions initiées par l'État et ses institutions, pour un renforcement de l'égalité entre les hommes et les femmes.


Mais qu’en est-il de l'évolution des usages linguistiques en France et comment leur transmission a-t-elle modulé notre société ? Quels débats le retour d’un langage plus inclusif a t’il suscité ? Comment la profession vétérinaire s’est-elle positionnée dans ce contexte ? Détricotons le sujet, chers et chères docteur·e·s.

Le français, roi des langages genrés

A l’instar d’autres langues, le français est une langue grammaticalement genrée : les pronoms personnels " il " et " elle " se réfèrent respectivement au sexe masculin et féminin, les adjectifs s’accordent et se conjuguent en regard. Aucune autre dénomination n’existe hors de cette conception binaire.

De nombreuses preuves scientifiques existent quant à l’influence de la langue sur notre manière d’être au monde et de le penser. Il a notamment été démontré que le traitement linguistique du genre, variable d’un pays à l’autre, avait diverses répercussions sociétales.

À titre d’exemple, une étude conduite en 1982 révèle que des enfants parlant hébreu, langue dont la construction est similaire au français, avaient conscience de leur propre genre un an plus tôt que des enfants parlant finnois, dont la langue comporte des pronoms neutres [1]. Plus étonnant, une autre étude suggère que l’égalité entre hommes et femmes est meilleure dans des pays affichant une neutralité linguistique [2]. Et un dernier article de conclure : " il est clair que la manière dont les sexes sont présentés dans la langue affecte leur visibilité. D’un point de vue psychologique cela implique que les stéréotypes de genre peuvent être renforcés ou réduits par l’usage d’un langage sexiste ou d'un langage équitable quant aux genres " [3].

Notre langue façonne donc implicitement notre pensée. En la faisant évoluer, n’est-elle pas un levier d’action contre les discriminations sexuées et genrées qui affectent notre société ?

Un peu d'histoire...

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il y a 400 ans, le langage inclusif était couramment utilisé en France. Il ne représente donc pas en 2023, une invention contemporaine ou une " lubie " militante parmi tant d’autres. Eliane Viennot, professeuse et historienne, membre de l’institut universitaire de France, rappelle ainsi que les autrices, peintresses ou philosophesses (même le correcteur orthographique tique !) cohabitaient avec leurs homologues masculins jusqu’à ce qu’une " vague de masculinisation " ne déferle sur la société du 17ème siècle [4]. Cette période voit en effet émerger, au cœur des institutions décisionnaires de l’époque (l’Église notamment), une population d’hommes lettrés (majoritairement chrétiens), soucieux d’imposer leur hégémonie sur les fonctions les plus éminentes de leur temps. Au sein des professions élitistes, qu’ils considéraient être propres à leur sexe, ceux-ci décident d’exclure délibérément la gent féminine !

Et l’Académie française de 1635 contribue à ce processus d’invisibilisation en rayant du langage certaines appellations féminisées (il faudra tout de même attendre 1980 pour que Marguerite Yourcenar soit la première femme à y entrer !). Des règles sont édictées et transmises au fil des siècles, largement inculquées à travers les enseignements de l’Éducation nationale (qui, rappelons-le, ne concerne initialement que les jeunes hommes).

Ce n’est donc pas une grande surprise de voir écrit, dans l’incipit du Bescherelle, ouvrage de référence de l’éducation française : "dans un état où les places ne sont plus le partage d’un petit nombre de privilégiés, mais où chaque homme voit s’ouvrir devant lui la carrière des emplois […] c’est un devoir pour tous les citoyens de connaître leur propre langue et de savoir la parler correctement ". Autant dire que les femmes ne sont pas invitées à la table des festivités ! Nombre de mots féminisés tombent dans l’oubli. La langue se révèle être un outil de sexisme ordinaire.

Le langage inclusif de nos jours

Le langage inclusif se réfère à une communication non discriminante, qu’elle soit opérée sous sa forme orale ou écrite. Ses applications sont diverses et parfois complexes à mettre en pratique, d’autant plus que ces deux formes n’évoluent pas au même rythme dans le temps.

En 1984, une commission gouvernementale de " terminologie relative au vocabulaire concernant les activités des femmes " est lancée. Mais… la France est une terre de puristes et de conservateurs, qui plus est dans ses institutions les plus anciennes ! L’Académie française s’y oppose, arguant que le masculin équivaut au genre non marqué et que la féminisation des noms de métiers, titres, grades ou fonctions risquerait d’induire une distinction renforcée entre les deux sexes. Émanant d’une institution majoritairement phallocentrée, le point de vue, a minima, interpelle. Les débats sont ouverts et ne cesseront jusqu’alors de scinder, sur la scène politique ou médiatique, défenseur·euse·s et détracteur·rice·s.

Et les sujets de controverse sont multiples. Outre la féminisation des termes professionnels, l’écriture inclusive, dans sa globalité, divise. Celle-ci inclut notamment l’utilisation de termes épicènes, du point médian (exemple : les électeur·rice·s) et l’application de l’accord de proximité. Voici pour ses modalités principales ! Des règles vivement remises en cause, jugées par ses opposant·e·s, nuisibles à la pratique et à l’intelligibilité de la langue française. Ses plus fervents défenseur·euse·s, eux·elles, militent pour une évolution indispensable des usages linguistiques, à la lueur des enjeux sociétaux qui en découlent.

Quoiqu’il en soit, depuis les années 80, les recommandations pour un emploi préférentiel du langage inclusif fleurissent. En 2015, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes publie notamment un guide pratique à destination des professionnel·le·s de la communication publique. Mais dans les faits, ces recommandations restent peu suivies, entre conservatisme et complexité d’application. Il faudra attendre 2019 pour que l’Académie Française considère qu’il n’existe " aucun obstacle de principe à la féminisation des noms de métiers ". Les termes en " eur " doivent ainsi être féminisés en leur ajoutant un e, docteure inclus !

Et qu'en est-il au sein de notre profession ?

L’existence du mot épicène " vétérinaire a permis depuis toujours, de dénommer hommes et femmes indistinctement. Celui de docteur·e reste moins usité et si tant est qu’il le soit, son  e muet ne permet pas, à l’oral du moins, de distinguer les deux sexes. Ainsi, abstraction faite de sa forme écrite, il était aisé pour tous·tes de s’en passer, quitte à éloigner astucieusement le sujet des polémiques. Un sujet qui, au vu de la féminisation récente et massive de la profession, ne pouvait qu’éclore ! Les chiffres de l’Ordre sont évocateurs : en 2021, 57,1% des vétérinaires inscrit·e·s à l’Ordre sont des femmes [5].

A l’image de l'accueil mitigé de certaines institutions françaises, l’Ordre des vétérinaires ne fit pas exception. L’usage officiel de la forme féminisée docteure ? Non nécessaire ! " Personne n’a besoin de cet artifice grammatical et syntaxique pour exercer pleinement ses missions dans le respect de chacune et chacun " [6]. Un positionnement vivement remis en cause, avec pour figure contestataire principale, le Collectif Vétérinaire Féministe (CVF), crée en 2021. En écho aux propos sus-cités, le CVF lance ainsi en octobre 2022, via la plateforme Change.org, une pétition afin que l’Ordre accepte ce changement, a minima pour celles qui le souhaiteraient. Une demande légitime si l’on considère que plus de 10 000 femmes reçoivent, depuis toujours, leur appel de cotisation au nom d’un homme ! Le collectif rappelle par ailleurs que " l'Ordre, ayant une délégation de service public de la part de l’État, se doit d’observer les règles en vigueur au sein de l’administration française ", s’en référant à la circulaire du 21 novembre 2017 et aux avancées de l’Académie française en ce sens. Cette pétition fut signée par 395 confrères et consœurs mobilisé·e·s. Mais qu’en est-il de l’avis du reste des vétérinaires ?

Un sondage général aurait sûrement été d’intérêt pour tous·tes. Évidemment, la question ne fait pas consensus. Un coup d’œil aux commentaires déposés sur la page Twitter et Facebook du collectif permet de s’en rendre compte aisément. Toutefois, nombre de femmes revendiquent une officialisation de leur titre sous sa forme féminisée. Ainsi, malgré les controverses, l’action du CVF porte ses fruits : en 2023, la féminisation est actée, la terminologie de docteure apparait sur les caducées vétérinaires. Et les témoignages positifs ne tardent pas à apparaitre sur les réseaux : " Un petit pas qui va dans le bon sens ", " merci beaucoup pour le progrès ! ". Les choses avancent, le monde vétérinaire chemine, progressivement.


Alors, en 2023, n’est-il pas temps de démasculiniser notre langue ? " Cela semble indispensable ", souligne Eliane Viennot, sans le faire pourtant, " de manière ostentatoire "[4]. La langue se module, évolue, nos usages mettront du temps à changer, indéniablement. Docteures, nous le sommes ! La langue le prévoyait, 400 ans auparavant. Alors… retrouvons nos usages d’antan et considérons le langage comme un merveilleux outil d’universalité et d’égalité !

 

Amandine Violé,
Vétérinaire

 

Ressources documentaires et bibliographiques :

[1] Guiora et al. " Language environment and gender identity attainment  ", Language Learning, 1982 ;

[2]Prewitt-Freilino et al. " The Gendering of Language: A Comparison of Gender Equality in Countries with Gendered, Natural Gender, and Genderless Languages ", Sex Roles, 2012 ;

[3] Stahlberg et al. " Representation of the sexes in language ", Social communication. A volume in the series Frontiers of Social Psychology, 2007 ;

[4] Eliane Viennot est à retrouver dans le podcast " Les couilles sur la table - Masculin neutre : écriture exclusive ", de Victoire Tuaillon ;

[5] Atlas 2022 démographique de la profession vétérinaire, [En ligne]. Disponible sur : www.veterinaire.fr [Consulté le : 15 mai 2023] ;

[6] Réponse de l’Ordre des vétérinaires à un courrier du CVF adressé le 24 mars 2022, [En ligne]. Disponible sur le groupe Facebook du CVF.

 

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