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Quand un véto bordélique rencontre un véto maniaque, ça fait des étincelles ?

Crédit photo © Studioanna, Anna Camerac
Le monde vétérinaire est infiniment riche, tant les parcours, les aspirations et les personnalités de chacun peuvent être différents. C’est ce qui permet des échanges passionnants et des débats passionnés au sein de notre communauté. Sommes-nous pour autant tous faits pour nous entendre, parce que réunis autour d’un métier commun ? Évidemment que non et certaines personnalités auront plus de mal que d’autres à travailler ensemble.

Aujourd’hui, le vétérinaire qui opère seul dans son cabinet ne représente plus le modèle dominant. Les jeunes et moins jeunes aspirent au travail en équipe. Mais si l’on n’a pas toujours la chance de pouvoir choisir ses collègues, on doit en tous cas composer avec les caractéristiques de chacun… Ce qui représente un certain défi ! Partager les mêmes zones de travail ne s’improvise pas, particulièrement quand elles sont le point de rencontre de modes de fonctionnement opposés. Ainsi, la personnalité maniaque peut-elle travailler sereinement aux côtés de la personnalité désordonnée ? Rien de moins sûr !

Ce que notre rapport au rangement dit de notre personnalité

Sans rentrer dans un manichéisme qui n’a pas lieu d’être, on constate généralement assez rapidement que certains vétérinaires se trouvent plutôt d’un bord ou de l’autre du spectre du rangement. Certains seraient même, disons-le franchement, à vraie tendance bordélique.

Si l’on en croit la psychologie, les personnalités bordéliques seraient des personnes qui refuseraient de grandir. Vivre au milieu du chaos et d’amas d’objets seraient une forme de rébellion contre les règles sociales. Certaines personnes très désordonnées peuvent également être incapables de maîtriser leurs angoisses et le fouillis qui règne autour de leurs affaires ne serait que le reflet de leur propre désordre intérieur. Elles peuvent également avoir du mal à prendre des décisions. Elles commencent mille choses à la fois, sans les terminer. Dans certains cas poussés, les personnes bordéliques ont tendance à accumuler des choses, comme des collectionneurs compulsifs. On parle de syllogomanie.

Néanmoins, on peut également reconnaître aux bordéliques des qualités qui peuvent avoir leur place dans notre milieu scientifique. Ils seraient des personnalités très créatives, bouillonnantes d’idées, intelligentes [1]. Ils ont plus de facilités à innover et à sortir des sentiers battus. Or de nombreuses situations du quotidien demandent justement de l’adaptation. Une plaie compliquée, une chirurgie qui ne se déroule pas comme prévu, des situations rocambolesques rencontrées sur le terrain… On a tous dû un jour user de débrouillardise pour soigner, car tout ne se trouve pas dans les livres.

À l’inverse, les personnalités maniaques sont extrêmement préoccupées par l’ordre et la propreté. Elles sont soigneuses et méticuleuses, et ne se sentent apaisées que lorsque leur environnement est rangé et épuré. Cela peut prendre des formes obsessionnelles, jusqu’aux TOC qui affectent leur équilibre émotionnel et leur relation aux autres. Leur côté maniaque répond à leur besoin de contrôle et de tout ritualiser. Lorsque cela n’atteint pas des proportions pathologiques, un côté très soigné peut avoir des atouts. Une salle de consultation toujours parfaitement rangée renvoie l’image d’un vétérinaire consciencieux, voire plus compétent aux yeux des clients. Par ailleurs, les personnes plus soigneuses se sentent plus productives au travail. Elles ont également moins la phobie de l’administratif, un point non négligeable pour les vétérinaires libéraux qui doivent y consacrer beaucoup de temps.

Quand les différents tempéraments se rencontrent sur le lieu de travail, cela donne donc la plupart du temps une belle synergie, chacun mettant ses qualités au profit de sa structure. Néanmoins, l’espace de travail étant également un lieu de vie commun, certains comportements poussés à l’extrême peuvent vite devenir agaçants… voire insupportables ! Alors, est-on condamné à subir les manies de ses collègues ou peut-on espérer trouver un terrain d’entente ?

Quand les divergences sont source de tension…

Selon une enquête conduite en ligne par Toluna auprès de 1031 français [2], 41 % des sondés se disent complètement indifférents au désordre de leurs collègues et 43 % s’en accommodent plutôt bien. Seule une minorité (16 %) se dit gênée par le bazar des autres. Cependant, on peut imaginer que la majorité des sondés travaille dans des bureaux, avec un espace alloué à chacun. Ce n’est donc pas nécessairement transposable aux vétérinaires qui, s’ils n’utilisent pas obligatoirement la même salle de consultation, doivent bien partager la même salle de chirurgie, les locaux dédiés aux animaux, la partie laboratoire et le gros matériel.

C’est là que les situations agaçantes, voire conflictuelles risquent de se produire. Tasses de café qui traînent, flacons de produits qui disparaissent, lames laissées sur le microscopique, placards du bureau qui débordent de brouillons, tubes non identifiés… Et c’est pire lorsqu’on doit partager sa voiture ! Tout le matériel est alors rangé dans un petit espace et le manque de rangement et de propreté peut vite agacer les plus maniaques d’entre nous. Seringues qui trainent (et qui finissent entre les sièges), poubelle non vidée, plein pas fait (pile quand on doit partir en visite à 40 km de la clinique !), traces de boue partout (d’accord, c’est un vrai challenge de maintenir son véhicule à peu près propre lorsqu’on travaille dans une région pluvieuse en automne-hiver), tondeuse pas chargée…

À l’inverse, on peut également se sentir mal à l’aise, voire oppressé face aux excès de maniaquerie de certains collègues. Leurs petites piques ou réflexions peuvent vite mener au contrôle, particulièrement s’ils repassent derrière nous à la moindre occasion.

« Ma collègue poussait le sens du détail jusqu’à assortir la couleur de ses torchons et de son pot à crayons à celle du mur. Les flacons étaient rangés dans des boîtes étiquetées et les consommables comme les compresses étaient systématiquement transvasés dans des contenants plus esthétiques que leur carton d’origine. Personne n’était très à l’aise à l’idée d’utiliser sa salle de consultation, par peur d’une réflexion si tout n’était plus parfaitement à sa place après notre passage ! »

Les situations problématiques ont donc mille occasions de se produire et de se multiplier, particulièrement chez les vétérinaires praticiens. Utiliser beaucoup de matériel au quotidien, faire plusieurs choses en même temps et pratiquer un métier où, par essence, la probabilité de se salir est élevée n’aide pas forcément à maintenir l’harmonie à tout moment de la journée.

Apprendre à travailler ensemble

Au risque d’adopter un ton défaitiste, il faut comprendre que les personnes profondément maniaques (ou profondément bordéliques) le sont par nature et qu’il y a malheureusement peu d’espoir de les changer. Cependant, cela n’empêche pas de faire preuve d’un minimum de savoir-vivre, ni de mettre en place quelques mesures simples pour faciliter la cohabitation.

À condition que les locaux et les emplois du temps le permettent, il est plus confortable pour chacun d’avoir sa propre salle de consultation. Si l’on reprend l’enquête de Toluna, les Français qui déclarent ne pas être profondément gênés par le désordre de leurs collègues posent toutefois une condition : que ce bazar n’empiète pas sur leur espace personnel. Alors chacun sa salle, voire chacun son domaine (la chirurgie tel jour pour tel vétérinaire, par exemple). Si ce n’est pas possible (équipe nombreuse, temps partiels…), on peut envisager d’agencer et de ranger chaque salle selon le même modèle. Moins de temps passé à chercher les affaires et moins de chances que les ASV se trompent en remplissant les placards.

Les adeptes du développement personnel connaissent peut-être déjà la « règle des 2 minutes ». Celle-ci consiste à effectuer immédiatement toute tâche prenant moins de deux minutes, plutôt que de la repousser à plus tard. Facture « au cul de la voiture », rangement de la paillasse entre chaque patient, nettoyage de son mug de café après utilisation plutôt que de le laisser traîner dans l’évier… À la fin de la journée, on gagne du temps et on allège sa charge mentale.

« Lors de mes toutes premières gardes en équine, je passais beaucoup de temps avec mes patients. Trop lente, je manquais encore d’expérience et de repères. Alors, une fois la consultation (enfin) finie, je me dépêchais de tout fourrer dans la voiture et de passer au patient suivant. Avec le recul, je perdais encore plus de temps ! Et je me retrouvais à ranger la voiture de nuit, après ma tournée, alors que je rêvais simplement de rentrer chez moi. »

Enfin, on peut initier un grand tri régulièrement sur son lieu de travail. Il y a fort à parier que les cliniques débordent de documents imprimés, de brochures commerciales, des médicaments périmés, de vieux registres de comptabilité, voire de matériel cassé et inutilisable. On retrouve même parfois des reliques, utilisées autrefois pour la rurale. C’est amusant, mais inutile et encombrant. Alléger son environnement de travail en retirant le superflu limite le bazar et rend plus efficace dans ses tâches quotidiennes.

Néanmoins, toute la bonne volonté du monde ne suffit pas toujours à chasser le naturel, qui revient vite au galop. Si les frustrations et les agacements s’accumulent et deviennent une vraie source de stress, il est temps de mettre cartes sur table. Les personnalités bordéliques sont plutôt faites pour travailler seules. Si elles sont incapables de respecter les espaces communs, peut-être faut-il envisager que la séparation est la meilleure solution.


Faire cohabiter différentes personnalités sur un même lieu de travail n’a donc rien de simple. Vétérinaires maniaques et vétérinaires désordonnés auront du mal à se comprendre, tant leurs fonctionnements sont opposés. Avec peu d’espoir de changer leur nature profonde, c’est plutôt à l’organisation quotidienne et au respect des règles de vie commune qu’il faudra consacrer son énergie.

 

Astrid de Boissière

Vétérinaire

 

Ressources documentaires et bibliographiques

[1] K. D. Vohs, J. P. Redden, R. Rahinel. Physical order produces healthy choices, generosity, and conventionality, whereas disorder produces creativity. Psychol Sci 2013 Sep ; 24(9) :1860-7. [Consulté le : 28 novembre 2023] ;

[2] L. Lucas. Ce que votre sensibilité au rangement révèle de vous, Le Figaro. [En ligne]. Disponible sur : https://www.lefigaro.fr/decideurs/vie-bureau/2019/03/21/33008-20190321ARTFIG00003-ce-que-votre-sensibilite-au-rangement-revele-de-vous.php [Consulté le : 28 novembre 2023].

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