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Véto bouse : pour le meilleur et pour le pire !

Crédit photo © Studioanna, Anna Camerac
Entretien avec Guillaume Fournaise Ce n’est pas un scoop : le monde vétérinaire manque de vétos ruraux ! Les campagnes se désertifient, le mitage territorial s’accentue, la crise agricole persiste et les contraintes du métier rebutent les jeunes générations. Conséquences préoccupantes : les vocations se raréfient et le métier connaît des heures sombres. Heureusement, certains continuent de sillonner la France bottes au pieds et sourire aux lèvres. Dans une interview hashtag, notre confrère Guillaume Fournaise nous parle de son métier et de ce qu’il en attend pour demain !

➣ #Tkitoi ?

GF : Je suis véto, mixte pour être exact. Jusqu'à l'hiver dernier, je faisais 70% de rurale mais aujourd'hui, après une restructuration de notre équipe, je n'en fait plus que 50%, à mon grand désespoir (sourire, ndlr).

Quand j’étais petit, je ne voulais pas du tout être vétérinaire. Je voulais devenir agriculteur, comme mes deux grand-pères. C’est au collège que j’ai commencé à y penser. Il faut dire que mon père est vétérinaire et que je passais pas mal de temps avec lui. J’ai donc découvert le métier très jeune. A la fin du lycée, je me suis orienté vers une classe préparatoire qui m’a conduit à Alfort dont je suis sorti en 2013. J’ai d’abord travaillé avec une équipe sympa dans la Somme. Ca n’a pas été facile d’arriver dans une région où je ne connaissais personne alors que je sortais de la vie de campus alforienne. J’ai alors mesuré l’importance de tomber sur des patrons et des collègues bienveillants qui m’ont complètement intégré à leur équipe. Puis, deux ans plus tard, je suis revenu dans ma région natale en Champagne pour travailler comme salarié dans la clinique où mon père était associé. Puis, je me suis associé un an plus tard en 2017. Ca peut paraître étonnant de vouloir travailler dans la clinique familiale - parce que ma mère y travaillait aussi - mais en fait, ça a fait son chemin dans ma tête au fur et à mesure. La Champagne me manquait, j’aimais la manière de travailler et l’ambiance de la clinique et je savais que je pourrai y apporter ma contribution. C’est une structure “à taille humaine” (nous sommes 5 vétérinaires et 5 ASV aujourd'hui) où tout le monde fait de son mieux pour bien bosser.

➣ #Keskitetiredulit?

GF : Ce qui me fait me lever le matin ? Je crois que c’est d’abord la diversité du boulot. On ne peut jamais se dire “j’ai tout vu” ou alors, c’est que je suis encore trop jeune (rires, ndlr). C’est du vivant, il y aura toujours des cas où il faudra chercher et se démener pour essayer de trouver tout ou partie de la réponse. J’aime ce sentiment de satisfaction quand je mets le dernier point sur une césarienne : le défi est relevé, l’acte est réalisé et on passe à autre chose. C’est aussi un travail plein d’humanité : on va chez les gens, on discute avec eux, on évoque les joies et les difficultés. On rentre presque dans leur intimité. Parfois même, on fait équipe le temps d’une intervention. Quant à l’imprévu, ça ne m’a jamais dérangé : on ne sait jamais sur quoi on va tomber, ni quand… Et ça me plaît !


Crédit photo : © Studioanna, Anna Camerac

➣ #TonPèreCeHéros ?

GF : Ah, c’est vrai que j’ai de l’admiration pour mon père. Son assiduité au travail, son énergie et la persévérance dont il a toujours fait preuve sont autant de qualités que je lui reconnais. Mon père a vécu une autre époque de la vie de vétérinaire de campagne... L’investissement personnel était plus important, il y avait indubitablement un côté sacerdoce … J’ai du respect pour ça. Je me souviens que quand mon père était seul associé, on ne partait jamais loin en vacances et il nous est déjà arrivé de devoir rentrer en urgences. Au moins, je ne me suis jamais fait d’illusion sur le métier... J'en connaissais précisément les contraintes. Aujourd’hui, les gens ne veulent plus vivre comme ça, en donnant autant à leur métier. C’est un fait qu’il est à mon avis inutile de déplorer avec nostalgie. Ce sont plutôt des valeurs dont il faut s’inspirer pour penser notre métier au présent. J’ai vu mon père tout faire au fil du temps pour diminuer la pression qu’il avait sur les épaules et essayer d’avoir une vie plus sereine. Il s’est associé, il a pris un salarié supplémentaire, puis un deuxième... Aujourd'hui, je n'hésite pas à dire que je souhaite une vie professionnelle plus équilibrée que ce qu’il a pu vivre.

Mais en tout cas, l’avoir vu travailler et avoir même travaillé avec lui pendant 4 ans a porté la réflexion que j’ai sur mon métier. Il était plus qu’un simple collaborateur, il était et est encore - même s'il a pris sa retraite en octobre dernier - quelqu’un sur qui je peux compter et de qui je peux apprendre. C’est un vrai stimulant dans le travail ! Ca me fait penser que plusieurs fois en stage, lorsque j’étais étudiant, j’écoutais des vétos me parler de leur ancien patron retraité, l’oeil brillant. Ils étaient admiratifs et fiers d’avoir appris avec ce gars là, même si ce dernier ne leur avait pas toujours fait de cadeau. Aujourd’hui, j’ai l’impression que les choses ont changé. On entend des vétos dire “je ne voudrais surtout pas avoir la même vie que mon patron.” Le référentiel n’est plus le même car la société connaît des restructurations profondes. De plus, les structures vétérinaires grossissent et il est de plus en plus difficile de s’identifier à une seule personne. Mais je pense qu’il est urgent de restaurer ce lien de mentorat en accompagnant les nouveaux salariés mais aussi les étudiants lors des stages tutorés. Il faut leur donner envie, leur transmettre “la fibre”, les guider. C’est à mon sens une condition nécessaire à la survie de notre métier.

➣ #CétaitMieuxAvant?

GF : C’est une phrase qu’on entend et qu’on lit régulièrement. De tout temps, je pense qu’on a dit “c’était mieux avant”. Pour moi, ce n’est pas très constructif et l’important, c’est que ce soit bien maintenant ! Et pour ça, il faut mettre les mains dans le cambouis et prendre la mesure des enjeux qui s’annoncent. Si je devais lister les défis à relever pour le véto rural, voilà ce que je mettrais :

  • Asseoir à nouveau la valeur de notre expertise et de notre travail. Rester présent dans les élevages est un enjeu à l’heure où la nouvelle génération d’éleveurs aspire à de plus en plus d’autonomie et par la même occasion, à s’affranchir du vétérinaire.
  • Prendre le tournant du numérique. Les éleveurs sont de plus en plus concernés par la question et nous n’avons pas d’autre choix que de suivre ! Je suis convaincu que l’innovation peut faciliter notre travail au quotidien et les jeunes générations me semblent être un atout de taille sur cette question.
  • Prendre à bras le corps le phénomène de société actuel qui consiste à dénigrer l’élevage français. Il faut travailler main dans la main avec les éleveurs pour favoriser le bien-être animal et redorer l’image de notre élevage.
  • Améliorer l’attractivité employeur et le management dans nos cliniques. C’est un sujet épineux pour nous car c’est une chose à laquelle nous n’avons pas été formé. Comme de nombreux confrères, mon associé et moi avons du mal à recruter - pourtant, ce n'est pas faute d'avoir épousé la fondatrice de Vétojob (rires, ndlr). Nous recevons peu de candidatures adaptés et la balle est toujours dans le camp des candidats qui ont le choix entre de nombreuses offres. Il me semble qu’en la matière, nous les vétérinaires ruraux avons des efforts à faire, non seulement pour recruter mais aussi et surtout pour donner envie à nos salariés de rester. Se former à des méthodes managériales modernes me semble aujourd’hui essentiel et comme beaucoup d’entre nous, je me demande souvent par où commencer.
  • Apprendre à mieux communiquer. Là non plus, je ne trouve pas ça simple. C’est valable pour la communication auprès de nos clients mais aussi pour la communication au sein de notre équipe. Il faut se méfier des grandes généralités générationnelles mais j’ai l’impression que les jeunes vétos ont parfois du mal à communiquer avec les clients, devenus de plus en plus exigeants. Par contre, ils ont une soif intense de travail en équipe et d’échanges productifs. Quant aux vétos plus âgés, je trouve qu’ils ont une capacité extraordinaire à tisser des liens solides et sur le long-terme avec leur clientèle mais qu’ils ont parfois du mal à mettre en place un vrai dialogue constructif avec leur équipe. Une transmission des uns aux autres devrait être possible car les deux aspects sont importants.

Allez, je vais quand même en profiter pour balayer un peu devant ma porte : je ne prétends pas faire mieux que les autres, loin de là, et il y a plein de ces sujets sur lesquels je sais que je vais devoir progresser.

➣ #LibertéOuServitude?

GF : Aucune hésitation : liberté ! Vétérinaire, c’est avant tout un métier de liberté ! Nous sommes libres dans notre manière de travailler, dans le choix des examens complémentaires et dans la mise en oeuvre du traitement. Compte tenu de l’offre et de la demande, nous pouvons bosser partout en France et même à l’étranger car notre diplôme est reconnu pour sa valeur. Et puis, quand je pense à tous les gens enfermés dans leur bureau toute la journée, le nez collé à leur ordinateur, le cerveau vissé à leur boîte mail, je me dis que me balader en voiture chez les clients, tranquillement en écoutant la radio, c’est une forme de liberté que j’apprécie. Mon métier, c’est du brut, du concret, du vrai quoi ! J’aime cette ancrage dans la réalité.

Maintenant, il y a aussi des contraintes, comme dans tout métier. La plus importante de toute restant les gardes. Chacun doit savoir où il place le curseur parce que la ligne rouge à ne pas dépasser, c’est de devenir l’esclave de son travail. Et chacun a ses propres limites. C’est pour ça qu’en discuter avec ses salariés pour savoir comment ils se positionnent est important. S’ils se trouvent en permanence dans une zone d’inconfort, ils finiront par partir et le temps investi à les former aura été inutile. Vétérinaire, c’est aussi un métier de valeurs et ça me semble important de le dire. Nous sommes un corps de métier et nous partageons des valeurs fortes comme le respect du vivant, l’amour de l’animal, l’esprit d’entraide, la confraternité et bien d’autres encore. C’est essentiel et nous ne devons pas l’oublier.


Crédit photo : © Studioanna, Anna Camerac

➣ #CoolToBeTheBoss ?

GF : Personnellement, je n’ai jamais imaginé être véto sans m’associer un jour. J’avais envie d’être chef d’entreprise, de prendre des décisions, d’avoir des responsabilités et aussi de mieux gagner ma vie. Pour moi, c’était une évidence et je ne regrette pas une seconde de m’être lancé dans l’aventure. Il y a comme un supplément d’âme au travail quotidien quand on le fait pour sa propre entreprise. Je crois que je ne suis pas du tout prêt à vendre à une chaîne (rire, ndlr) . M’ancrer dans une région n’a jamais non plus été une source d’inquiétude. Je sais que ce qui est évident pour moi ne l’est pas pour tout le monde et je n’aime pas entendre que ma génération - et ne parlons pas de celle-d'après - manque d’ambition parce qu’elle choisit de plus en plus la voie du salariat. Il faut faire selon ses besoins et selon son envie. C’est pour moi une question de choix de vie. Il est parfaitement inutile d’arriver à l’écoeurement de son travail en fin de carrière pour la seule raison qu’on nous a mis dans la tête que le modèle du vétérinaire par excellence, c’était l’association. Être patron exige un vrai investissement. J’en ai pris toute la mesure lorsque je me suis associé. Il faut avoir conscience de toutes ces choses invisibles que font les associés le soir, après les visites et les consultations : la compta, les recrutements, les problèmes de matos, les impayés... Et surtout la gestion terriblement complexe de l’humain, au sein de l’équipe comme de la clientèle. Il faut avoir envie de tout ça, sinon on ne peut à mon avis ni bien le vivre, ni bien le faire.

➣ #Unconseilpourlesdjeun's ?

GF : Je concède un défaut à la jeune génération - dont je ne sais pas si je fais encore partie - celui de se décourager un peu trop vite. Je ne pense pas qu’il faille toujours croire que l’herbe est plus verte ailleurs. Il n’y a pas de job parfait. Nulle part et pour personne. Et nous avons vite fait de nous plaindre et d’oublier combien nous avons de la chance de faire ce métier. Nous connaissons le plein emploi dans un pays où le chômage reste élevé. La grande majorité d'entre nous n'a pas économiquement souffert de la crise sanitaire... Le job parfait, c'est celui que vous allez construire, petit à petit, pierre après pierre. C’est long, parfois compliqué et vous aurez besoin de persévérance. Mais ça vaut la peine de se battre. Il ne faut jamais oublier que les vétérinaires des générations précédentes ont eux aussi eu des périodes difficiles et des moments de doute. C’est notre tour à présent et pas plus qu’eux, nous n’avons pas le droit de baisser les bras. Du coup, mon conseil, ce serait de trouver une équipe dont vous partagez les valeurs. Ce n’est pas grave s’il vous faut faire plusieurs cliniques avant de trouver la bonne car chacune de vos expérience vous enrichira. Et si vous ne trouvez pas le cadre qui vous corresponde, que vous avez l’envie et l’énergie, vous pouvez toujours créer votre structure, à votre sauce. C’est à vous seuls de penser la clinique et la médecine de demain.

➣ #AnythingElse?

GF : Si, je voulais redire que notre boulot est un métier d’avenir, ça ne fait aucun doute! Nous n’allons pas disparaître : les animaux, les clients, la société ont trop besoin de nous ! Mais il nous faut prendre la mesure des enjeux actuels. Être visionnaires, regarder plus loin que dans les cinq années à venir, rester soudés. Il ne faut pas oublier de nous diversifier : dans les animaux, les offres, les services. Il faut nous ouvrir à la transition numérique et à tous les changements qui arrivent pour rester compétitifs.

Je n’irai pas jusqu’à vous dire que c’est le plus beau métier du monde mais à mes yeux, ça l’est quand même un peu...


CQFD...

Propos du Dr Guillaume Fournaise, vétérinaire dans l'Aisne,

Recueillis par Marine Slove,
Vétérinaire & Éditrice associée

 

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