Alors, comment profiter des avantages de l’IA sans tomber dans ses pièges ?
Une hallucination de l’IA est une réponse fausse ou incohérente, mais formulée de manière convaincante. Les modèles de langage fonctionnent en effet par prédiction statistique de mots, sans véritable compréhension, ni capacité intrinsèque de vérifier les faits. Si la question sort de leur zone de confiance, ils peuvent « combler les trous » en inventant un contenu plausible.
En pratique vétérinaire, cela peut se traduire par une posologie erronée ou un diagnostic hors de propos, donné avec aplomb.
Pourquoi c’est un problème majeur pour les soignants ?
Dans notre domaine, une information inexacte n’est pas seulement un détail technique : elle peut entraîner une mauvaise décision clinique et mettre en danger un animal. De plus, les propriétaires peuvent arriver en consultation persuadés par un conseil lu en ligne ou obtenu via un chatbot, créant de nouvelles difficultés relationnelles.
Quelles sont les causes fréquentes des hallucinations ?
-
Un mécanisme probabiliste : l’IA produit la suite de mots la plus probable, pas forcément la plus vraie. Ce fonctionnement, purement statistique, ne garantit pas la pertinence scientifique ou la cohérence logique. En cas de requête complexe ou inhabituelle, le modèle peut assembler des fragments d’informations disparates en un discours apparemment solide mais entièrement faux.
-
Des données d’entraînement biaisées ou incomplètes : si un sujet est mal couvert ou surreprésenté sous un angle particulier, le risque d’erreur augmente. Cela peut provenir d’un manque de diversité des sources, de la présence d’informations obsolètes ou erronées, ou encore d’un déséquilibre géographique ou culturel dans les données apprises.
-
Une absence de filtre : par défaut, l’IA préfère répondre plutôt que d’admettre qu’elle ne sait pas. Sans mécanisme explicite de reconnaissance de ses limites, elle comble les zones d’ombre en improvisant, ce qui renforce la probabilité d’une hallucination. Cette tendance peut être aggravée par des réglages ou prompts encourageant la complétude plutôt que la prudence.
Quelles sont les bonnes pratiques pour limiter les risques ?
Pour réduire les hallucinations et fiabiliser l’usage de l’IA, il est possible d’agir à la fois sur le paramétrage de l’outil et sur notre posture d’utilisateur.
1. Encadrer les sources de l’IA
-
Interdire l’usage des données d’entraînement comme référence et fournir à l’IA des bases de connaissances validées (protocoles internes, articles scientifiques). Cette instruction peut être intégrée directement dans le prompt en précisant clairement : « Utilise uniquement les documents que je t’ai fournis. »
-
Limiter l’accès Internet sauf autorisation expresse, pour éviter la récupération de données non vérifiées. Cette mesure peut aussi être appliquée en désactivant directement la fonction de recherche web dans l’outil. Il est également recommandé que l’IA affiche clairement un message lorsqu’elle effectue une recherche en ligne. Là encore, il suffit de le stipuler explicitement dans le prompt, par exemple : « Ne fais pas de recherche Internet sans mon accord préalable et indique-moi toujours quand tu consultes le web. »
2. Soigner la formulation des requêtes
-
Préciser le rôle attendu de l’IA (ex : « Agis comme un spécialiste en dermatologie vétérinaire »). Plus le rôle est spécifique, plus les réponses sont ciblées et pertinentes.
-
Fournir un contexte complet et clair : décrire la situation clinique, préciser les données disponibles, le cadre réglementaire ou technique, et toute contrainte particulière. Ces éléments permettent à l’IA d’éviter les généralisations hasardeuses.
-
Indiquer explicitement le format de réponse souhaité (tableau, protocole, liste hiérarchisée). On peut aussi imposer dans le prompt des exigences sur le style, la concision, ou la présence de références, afin d’obtenir un rendu directement exploitable en pratique. Enfin, il est utile de mentionner dans le prompt que ces instructions doivent être respectées en priorité, même si cela conduit l’IA à fournir moins d’informations plutôt qu’à inventer.
3. Gérer l’incertitude
-
Exiger que l’IA signale clairement quand elle ne sait pas, par exemple en affichant un avertissement du type « Informations insuffisantes pour répondre de manière fiable » et en proposant des pistes de recherche alternatives. Cela permet de distinguer les réponses fondées sur des données solides de celles qui reposent sur des hypothèses ou suppositions.
-
Indiquer explicitement dans le prompt que l’IA doit préférer admettre ses limites plutôt que d’inventer. On peut aussi lui demander de préciser son degré de confiance dans la réponse donnée.
-
Vérifier systématiquement toute réponse avant application clinique, en la confrontant à des sources validées ou à l’avis d’un confrère ou spécialiste. Cette double validation est essentielle pour éviter de baser une décision médicale sur une information potentiellement erronée.
4. Sensibiliser et former les équipes
-
Organiser des sessions internes de sensibilisation aux risques d’hallucinations, en incluant des démonstrations concrètes de cas réels où l’IA a produit des réponses erronées. Ces sessions peuvent aussi aborder les bonnes pratiques de formulation de prompts et de validation des réponses.
-
Intégrer ces formations dans un plan de développement continu, afin que chaque membre de l’équipe, vétérinaires comme ASV, sache comment utiliser l’IA de manière critique et sécurisée.
-
Partager les erreurs repérées avec les concepteurs ou la communauté professionnelle pour améliorer collectivement les outils, en tenant à jour un registre interne des cas d’hallucinations détectés et corrigés. Ce retour d’expérience peut servir à ajuster les paramètres de l’IA et à renforcer les compétences de l’équipe face à ces situations.
L’IA est un formidable outil d’aide à la décision, à condition de l’utiliser avec discernement. En pratique vétérinaire, cela signifie garder un regard critique, valider chaque information cruciale et rappeler à nos équipes que l’IA n’est pas un oracle, mais une assistance. Encadrer ses sources, limiter ses libertés de recherche, exiger la transparence sur ses incertitudes : autant de gestes simples qui permettent de transformer un outil potentiellement trompeur en un allié fiable.
Mathieu Lamant,
Vétérinaire et fondateur de HVC premium
La rédaction vous conseille