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Le congé paternité vétérinaire est-il un oxymore ?

Crédit photo @ anoushkatoronto - stock.adobe.com
Bien que les femmes soient régulièrement renvoyées à leur seul statut de mère, et bien qu’elles soient encore majoritaires à s’occuper de l’éducation et des soins de leurs enfants, il ne faut pas oublier que la parentalité concerne tout autant… les pères. Chez les vétérinaires, l’image de l’homme qui travaille d’arrache-pied jour et nuit et qui ne rentre chez lui que pour glisser ses pieds sous la table est maintenant démodée.

Pourtant, les anecdotes (récentes !) ne manquent pas chez nos confrères masculins. Entre celui qui est retourné travailler le lendemain de la naissance de son fils, et celui qui a été rappelé en urgence par son patron alors qu’il conduisait à l’hôpital sa femme en train d’accoucher, on peut se demander s’il ne s’agit pas là de pratiques d’un autre temps. Heureusement, les mentalités et la démographie évoluent, et les hommes ont maintenant droit à un congé paternité un peu plus long. Cela signifie-t-il que les vétérinaires sont plus nombreux à en profiter en totalité ? Ou bien les particularités de notre profession constituent-elles un frein à revendiquer ces quelques jours dédiés à l’accueil de son bébé ?

Le congé paternité en pratique

Depuis le 1er juillet 2021, la durée du congé paternité est de 25 jours calendaires (qui s'ajoutent au 3 jours ouvrables de congé naissance auxquels ont droit les salariés), au lieu de 11 jours auparavant. Il se décompose en 7 jours obligatoires (qui comprennent le congé naissance la cas échéant) à prendre à la naissance de l’enfant auxquels, il faut ajouter 21 jours calendaires pour les salariés (et donc 18 jours calendaires pour les libéraux) à prendre à la suite ou de manière fractionnée, jusqu’aux six mois de l’enfant.

Le congé paternité concerne tous les salariés, quel que soit leur type de contrat ou leur ancienneté. Il concerne maintenant également les libéraux, qui ne peuvent se soustraire aux sept jours obligatoires. Salariés et libéraux sont indemnisés pour partie par la CPAM : en fonction de leurs revenus et jusqu’à un plafond maximum pour les salariés ; les libéraux eux touchent une indemnité forfaitaire de 60,26 € par jour (au 1er janvier 2023). Un montant qui risque bien d’être insuffisant pour ces derniers, qui doivent payer de nombreuses charges chaque mois. Est-ce que cette faible compensation peut expliquer certains choix des vétérinaires nouvellement papas, ou faut-il creuser un peu plus loin ?

État des lieux chez les vétérinaires

En matière de parentalité, on n’entend pas suffisamment la voix des hommes, qui ont pourtant toute légitimité à s’exprimer. Pour mieux écouter et comprendre les vétérinaires de sexe masculin, nous avons mené notre petite enquête, et recueilli plusieurs témoignages au travers d’un court sondage.

Les vétérinaires qui se sont prêtés au jeu sont majoritairement des associés (60%), de moins de 49 ans (30% entre 25 et 34 ans et 70% entre 35 et 49 ans), et déjà papas d’au moins un enfant (100%).

À la question :


Crédit photo : @ TÉMAvet

Ils ont été 90% à répondre « oui, très favorable » et seulement 10% à répondre « non, pas du tout favorable ». C’est bien plus que dans la population générale, où seuls 39% des hommes approuvaient cette mesure.

Concernant la possibilité d’allonger encore ce congé à l’avenir (pour atteindre, par exemple, les 10 semaines après la naissance comme pour les mères), les réponses sont un peu plus divisées.


Crédit photo : @ TÉMAvet

En pratique, les répondants ont été 80% avoir pris un congé paternité : moins de 7 jours pour 12,5% d’entre eux ; entre 8 et 14 jours pour 62,5% d’entre eux ; plus de 14 jours pour 25% d’entre eux. Cela implique donc que 20% des vétérinaires participants n’ont pas pris un seul jour. Parmi eux, tous étaient associés.


Crédit photo : @ TÉMAvet

Regardons maintenant la satisfaction globale face au nombre de congés effectivement pris : seuls 20% des sondés se disent « satisfaits » ou « assez satisfaits ». Les vétérinaires se disent donc insatisfaits à 80% (dont 37,5% « très insatisfaits »), sans que cela concerne nécessairement ceux dont la durée du congé était la plus courte ! De quoi encourager et poursuivre la réflexion à ce sujet.

Lorsqu’on s’intéresse enfin aux raisons qui ont poussé certains à réduire la durée de leur congé paternité, il apparaît qu’elles sont principalement financières. Les raisons professionnelles sont également évoquées : surcharge de travail, difficulté à trouver un remplaçant, injustices par rapport aux autres membres de l’équipe qui n’auraient pas pris autant de jours…

Entre pression familiale et pression professionnelle

Le sondage mené chez les vétérinaires, certes sur un échantillon assez petit et peut-être pas suffisamment représentatif, montre une réelle ouverture à l’allongement du congé paternité. Pourtant, la pratique ne rejoint pas toujours la théorie (et c’est d’autant plus vrai pour les vétérinaires libéraux).

D’un côté, le congé paternité permet d’accueillir son enfant, de créer du lien avec lui, mais également de soutenir la jeune maman, généralement éprouvée par la grossesse et l’accouchement. Celle-ci traverse en effet une période de remaniements psychiques et physiques de grande ampleur : s’occuper d’un nourrisson aux besoins intenses lorsqu’on est soi-même vulnérable suppose de disposer de grandes ressources. Le papa a tout son rôle à jouer à ce moment-là. Si en plus, l’accouchement s’est fait par césarienne, ou si celui-ci s’est assorti de complications, comment imaginer laisser la mère seule des journées (voire des nuits) entières, elle qui est en pleine convalescence ? Les mères ont maintenant plus facilement accès à l’information concernant cette période délicate que représente le post-partum et hésiteront moins à anticiper et à faire valoir leurs propres besoins. Pour le vétérinaire qui s’apprête à devenir papa, il s’agit donc de pouvoir répondre présent… Quand on se donne cette possibilité.

Car de l’autre côté, la pression est également forte du côté professionnel. L’image du vétérinaire sacrificiel est encore ancrée dans les esprits, et les difficultés de recrutement que traverse la profession n’améliorent pas la situation. Alors que l’on admet assez facilement qu’une femme puisse mettre sa carrière en pause le temps de se consacrer à sa maternité, du côté des hommes, c’est une toute autre histoire. Entre associés, on tolère en effet assez mal que quelqu’un puisse s’absenter longtemps, ou puisse bénéficier d’un traitement de faveur (« Je n’ai pris aucun congé paternité, donc tu n’en n’auras pas non plus ! »). Si l’on considère que l’on va forcément laisser une charge de travail supplémentaire à ses collègues, alors la culpabilité peut également s’inviter au tableau.

Les vétérinaires semblent donc aujourd’hui tiraillés entre une vraie volonté de s’impliquer dans leur vie familiale, et la pression qu’ils se mettent (ou que leurs collaborateurs leur mettent) à ne jamais désinvestir la sphère professionnelle.

Vers un congé paternité plus long et obligatoire ?

On l’a vu, le manque de rémunération du congé paternité, particulièrement pour les libéraux, est également l’un des paramètres qui freinent le plus les pères. Aujourd’hui, seuls 7 jours sur les 28 sont réellement obligatoires, et s’il n’y a pas d’accord ou d’organisation interne entre associés pour permettre à chacun de payer ses charges, la tentation de rogner encore sur ce temps très court peut se présenter. La solution serait-elle de rendre le congé paternité obligatoire dans sa totalité, quel que soit son mode d’exercice ? Ainsi, si le choix de « prendre » ou non son congé n’existe plus vraiment, les vétérinaires hommes devront bien prendre leurs dispositions via une prévoyance, comme le font déjà les vétérinaires libérales qui prévoient d’avoir des enfants.

On peut aller plus loin et espérer que le congé paternité s’allonge également à l’avenir, comme c’est déjà le cas dans plusieurs pays d’Europe (16 semaines 100% indemnisées en Espagne, 49 semaines à 100% à répartir entre les deux parents en Norvège avec un minimum de 15 semaines pour chacun, 6 mois pour chaque parent en Islande…). La réforme française est certes une belle avancée, mais encore un peu timide par rapport aux besoins réels des familles. En effet, on est loin des recommandations de la Commission des 1000 premiers jours qui préconise 9 semaines de congé paternité [1], ou même de celles de l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) qui en préconise 6. L’UNICEF demande même un congé parental payé, d’au moins six mois pour les deux parents.

Si l’on s’autorise à être un peu optimiste, on pourrait attendre d’un congé plus long et obligatoire qu’il gomme les inégalités de genre (discrimination à l’embauche, inégalités salariales…). Rappelons que ces inégalités existent bien dans notre profession, malgré sa féminisation, et malgré la raréfaction des candidats à l’embauche [2]. Le congé maternité ne planerait plus comme une menace au-dessus de la tête de l’employeur ou des associés ; tout du moins, l’annonce d’une grossesse ne serait pas accueillie différemment selon que l’on soit future maman ou futur papa. Bien sûr, il reste à l’heure actuelle le problème du recrutement et donc, de la recherche de remplaçants. Les dernières dispositions (promotions d’étudiants plus grandes, nouvelle école vétérinaire) devraient faciliter les choses dans quelques années.

Enfin, un congé paternité allongé et obligatoire permettrait de rééquilibrer la charge mentale au sein du foyer, celle-ci restant en majorité endossée par les femmes. La parentalité ne s’arrête pas aux premières semaines de vie du nourrisson, et par la suite, quelques absences seront à anticiper (enfant malade, réunion d’école…). S’il est déjà admis que la présence du père est nécessaire dans le foyer lors des premiers mois, alors peut-être acceptera-t-on plus facilement que les hommes aussi doivent gérer les imprévus familiaux et les petites absences qui y sont liées.


Il y a encore une longue réflexion à mener concernant le congé paternité mais bonne nouvelle, les vétérinaires semblent très ouverts à la discussion. Malheureusement, de nombreux freins inhérents à notre profession et notre mode d’exercice subsistent toujours, qu’ils soient financiers ou organisationnels. Il ne suffira pas simplement de faire évoluer les mentalités, mais bien de résoudre l’équation complexe qui consiste à faire concilier besoins familiaux et réalité du terrain.

 

Astrid de Boissière,
Vétérinaire

 

Ressources documentaires et bibliographiques :

[1] Les 1000 premiers jours, Là où tout commence, Rapport de la commission des 1000 premiers jours, septembre 2020, [En ligne], Disponible sur : https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-1000-premiers-jours.pdf [Consulté le : 27 février 2023] ;

[2] Atlas démographique de la profession vétérinaire 2022, Observatoire National Démographique de la profession vétérinaire, 7ème édition, [En ligne], Disponible sur : https://www.veterinaire.fr/system/files/files/2022-10/1127-INTERIEUR-ATLAS-REGIONAL-NATIONAL-2022_BD_24102022.pdf [Consulté le : 27 février 2023].

 

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